On l’imaginait terré au fin fond d’une grotte dans les montagnes tribales, à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan.
Comment la présence d’Oussama Ben Laden, dans l’imposant complexe d’Abbottābād, à 50 km d’Islamabad et voisin d’installations militaires pakistanaises, a-t-elle pu passer inaperçue ? La question agite bien des débats et soulève bien des doutes quant à la position pakistanaise. La communication autour de l’assaut qui a finalement tué Ben Laden a elle aussi évolué au fil des heures : après voir remercié les autorités pakistanaises pour leur contribution, l’Administration Obama souligne désormais, par la voix du Directeur de la CIA, coordinateur de l’”Opération Geronimo” qu’informer le Pakistan a priori aurait pu compromettre l’action des Navy Seals…
Plusieurs raisons peuvent expliquer ces zones d’ombre et cette confusion.
D’abord, le Pakistan est un pays complexe et ethniquement divisé, de quelque 170 millions d’habitants. Les autorités, affaiblies par la corruption et les désordres internes, percoivent beaucoup d’argent des Etats-Unis pour s’engager à leurs cotés dans la lutte antiterroriste, mais elles ne peuvent ouvertement assumer cette position vis-à-vis de leur opinion publique, souvent hostile à la présence américaine chez leurs voisins afghans, et plus généralement – notamment dans les zones tribales pachtounes – à l’Occident.
D’où la nécessité de ne pas être associées, de près ou de loin, à la mort de Ben Laden : Islamabad a d’ailleurs officiellement fait savoir son mécontentement après la violation de son territoire par les commandos américains.
Mais cette position instable d’Islamabad cache en réalité un double jeu des autorités : s’il est difficilement envisageable que Washington ait engagé cet assaut hautement risqué sans en avertir (peut être avec le plus court des préavis pour réduire les possibilités de fuites) le président Zardari – et on peut meme raisonnablement penser que les informations nécessaires à la consolidation de l’opération proviennent de sources pakistanaises, il est tout aussi impensable que Ben Laden ait pu habiter ce complexe sans complicités au sein de l’appareil politique et militaire pakistanais.
C’est toute l’ambiguïté de l’Inter-Service Intelligence (ISI), les services secrets pakistanais. Sinon complices, ils ont depuis longtemps une position floue à l’égard des talibans et des mouvances terroristes locales, qu’ils ont pour la plupart formées afin de lutter au Cachemire et qui désormais s’affranchissent de leur tutelle. On se rappelle d’ailleurs qu’au moment des attentats de Mumbai en novembre 2008, revendiqués par le Lashkar-e-Taiba, l’Inde avait pointé du doigt le Pakistan… Et une liste secrète, établie en 2007 par l’Administration américaine et divulguée par WikiLeaks, fait apparaitre l’ISI en tant qu’”organisation soutenant des terroristes”…
Un double jeu que la mort de Ben Laden, dans ce complexe dont les mesures de sécurité et la robustesse ne pouvaient passer inaperçues, met en pleine lumière : l’ISI aurait-elle délibérément abrité Oussama Ben Laden ? Dans les mois qui viennent, le Pakistan devra s’en expliquer.
Déjà, à Islamabad, nombreux sont ceux qui se plaignent des frappes des drones de la CIA sur les zones tribales, qu’ils considèrent comme une violation de leur espace aérien. Dans les conditions actuelles, l’arrivée à la tète de l’Agence du prestigieux général Petraeus (dont la stratégie en Irak s’est avérée payante), souvent critique envers un establishment pakistanais qu’il soupçonne de couvrir les insurges talibans en Afghanistan, ne va pas arranger leur situation, et augure de lendemains tendus entre les Etats-Unis et le Pakistan…
JA.