L’industrie française, dont les fleurons sont aussi principalement organisés autour de ces grands projets où prime la fiabilité du produit final, ressent des difficultés semblables.
Mais on ne peut pas comparer avec désinvolture les mentalités et pointer un doigt accusateur sur les industries texane ou française sans intégrer dans la réflexion le substrat auquel cet état d’esprit s’applique : quand le défaut d’un logiciel a pour conséquence un échec commercial, le dysfonctionnement d’un puits de forage pétrolier, d’une centrale nucléaire ou d’un avion, outre qu’il engloutirait des investissements colossaux, peut coûter la vie de centaines de personnes et corrompre durablement toute une région… Les enjeux et les risques n’ont pas la même ampleur, et les comportements s’accordent en conséquence.
Par leur taille, leur culture et leur activité, de telles structures sont donc peu compatibles avec la prise de risque que suppose une démarche innovante : les start-ups californiennes, plus flexibles et à l’impact local, y sont plus adaptées.
Mais pourquoi ne parvient-on pas à constituer en France un tissu similaire de start-ups performantes?
Certains avancent que le management horizontal stimulant l’innovation est incompatible avec notre mentalité : les Français, fidèles à leur caractère à la fois royaliste et régicide, perdraient leurs repères sans la figure tutélaire du chef, dont ils se plaignent pourtant souvent. Mais cela ne s’applique notamment pas à ces nombreux jeunes avides d’opportunités pour concrétiser leurs projets en toute liberté…
J’ai rencontré certains de ces entrepreneurs français qui ont fondé avec succès leur start-up dans la Silicon Valley. Quelques-uns s’y étaient déjà essayés en France – en vain. S’il s’agit bien seulement d’une question d’état d’esprit, pourquoi cette différence ? Auraient-ils subi un lavage de cerveau au-dessus de l’Atlantique ?
L’un d’entre eux, heureux patron d’une start-up travaillant dans les smart grids, m’a expliqué son secret : « En France, l’argent n’est pas un problème : le FSI ou OSEO le mettent à disposition. Mais pour y avoir accès, on doit devenir expert en droit et en comptabilité. Et ça devient pire une fois la société établie… Ici, avec de l’audace, un projet assez solide et un peu de networking efficace, tu arrives très vite dans la cuisine d’un VC. Si tu as confiance en toi et parles bien, tu en ressors avec un chèque d’1 million de dollars ! Et si ça tourne court, ce n’est pas grave : la région regorge de solutions de repli…»
Par-delà l’absence d’un écosystème aussi porteur que celui de la Valley, la réponse tient donc surtout dans le manque, en France, de mécanismes de financement plus simples et plus légers. Découragées et étouffées par ces contraintes, ces jeunes structures, souvent en sous-effectif, finissent donc par échouer ou absorbées par des grands groupes qui, eux, peuvent se payer le luxe de directions juridique et financière. Mais, en général, pas prendre le risque d’être trop innovants !…
Ainsi, à travers le décalage entre la Silicon Valley et le Texas, ce sont en fait certains freins à l’innovation dans notre pays qui apparaissent. Et une pensée paradoxale, qui me fait sourire en montant dans le Boeing 737 prêt à décoller de Houston : « Finalement, le Texas, c’est un peu la France, non ?… »
JA.