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La France et le stockage de l’électricité

Je publie ici la synthèse de mon rapport sur le stockage de l’électricité, réalisé avec mes camarades Rémi Ferrier et François Peaudecerf, que je remercie.

L’intégration croissante des énergies renouvelables intermittentes, associée à une demande toujours plus exigeante, impose aux systèmes électriques d’être toujours plus flexibles. Les technologies de stockage peuvent répondre à ce besoin, en permettant que production et consommation s’écartent temporairement.

Mais ces technologies n’ont pas le monopole de la flexibilité. Des alternatives classiques, comme les moyens de production modulables ou les interconnexions entre territoires, sont également mises en œuvre, et le stockage reste souvent peu attractif en raison de coûts trop élevés et de modèles d’affaires encore trop incertains.

Aujourd’hui, en France, la flexibilité du système est assurée efficacement, à la fois par 5 GW de stockage hydraulique et par des solutions conventionnelles (moyens de pointe, interconnexions, décalage de la demande), qui peuvent encore être développées. Dans ce contexte, elles apparaissent comme la réponse privilégiée face à un accroissement du besoin de flexibilité.

En revanche, dans d’autres pays comme le Japon, les USA et l’Allemagne, les alternatives montrent leurs limites et le stockage trouve sa place pour optimiser le portefeuille des solutions de flexibilité. Le marché des technologies de stockage est ainsi en train de grandir dans le monde.

Leader traditionnel dans l’électricité et dotée d’atouts technologiques et industriels dans le domaine du stockage, la France pourrait valoriser à l’export son savoir-faire et ses efforts de recherche. Cependant, face à des concurrents internationaux disposant d’un marché domestique et soutenus par leurs Etats, cela suppose de bâtir une stratégie industrielle nationale pour consolider la filière. Dans ce cadre, nos DOM-TOM, où le contexte électrique spécifique rend le stockage pertinent, pourront constituer un terrain d’expérimentation idéal et une vitrine commerciale.

Pour construire des politiques cohérentes, il est nécessaire d’être clair sur leurs objectifs. Le stockage de l’électricité ne constitue pas un enjeu énergétique à court terme en France métropolitaine. C’est en revanche une opportunité pour notre industrie : une politique industrielle adaptée, soutenant l’innovation et la montée en compétence de la filière, peut permettre de mieux la saisir.

JA

Le véhicule électrique, une solution aux grands défis de l’Amérique ?

On aurait pu croire que l’Amérique rejetterait en bloc le véhicule électrique, vécu comme une aliénation de la liberté de mouvement, icône de l’American way of life.

Mais la décennie 2000, en rappelant aux Américains leur vulnérabilité, au plan sécuritaire (le 11 septembre), climatique (l’ouragan Katrina) ou économique, a remis en cause une forme de douce insouciance : la prise de conscience environnementale, certes plus tardive qu’en Europe, s’enracine ; et les moins sensibles au sort de la planète n’ignoreront cependant pas la rente pétrolière versée à des pétrocraties moyen-orientales rongées par un antiaméricanisme latent.

Bref, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance énergétique, tout en ouvrant la voie à plus de croissance et d’emplois industriels, le véhicule électrique s’affirme comme une solution aux grands défis de l’Amérique d’aujourd’hui.

Après des progrès technologiques encourageants et une brillante stratégie marketing de Tesla, la mobilité électrique est désormais mieux acceptée par l’opinion publique, et a fait l’objet de lourds investissements, privés comme publics. En somme, pour reprendre cette concession de GM : « Qu’on le veuille ou non, le véhicule électrique est désormais une réalité durable aux Etats-Unis. »

De grands efforts restent toutefois nécessaires pour relever le défi de l’expansion du marché, et ne pas se contenter d’une clientèle de niche, composée d’écologistes convaincus et de passionnés. L’augmentation du taux d’adoption des véhicules électriques passe par une compétitivité accrue vis-à-vis des voitures conventionnelles, en termes de prix et de performances : cela suppose de nouvelles percées technologiques et une réduction des coûts, qu’accélère la course à l’innovation qui fait rage entre les constructeurs et leurs tractions concurrentes (véhicules conventionnels, hybrides, hybrides rechargeables, ou tout électriques).

Cette bataille ne sera néanmoins pas suffisante pour franchir le cap du million de voitures électriques et hybrides rechargeables d’ici 2015, comme souhaité par l’Administration Obama. Il le sera en revanche en 2020, si les pouvoirs publics maintiennent leur soutien au véhicule électrique, à la recherche et au déploiement de l’infrastructure de charge : indispensables pour entretenir l’offre et la demande avant le décollage du marché, ces mesures, assorties d’incitations à produire sur le territoire des Etats-Unis, permettront de capturer plus des deux tiers des bénéfices économiques et s’imposeront donc comme un investissement de croissance : en produisant un million de voitures électriques en 2020, les Etats-Unis crééraient 54 000 emplois et génèrerait un incrément de PIB annuel de $8.5 Mds, lié à la valeur ajoutée par cette nouvelle filière et à l’allègement du transfert de richesse stérile vers l’OPEP, que constitue la facture pétrolierè américaine. S’y ajoutent des bénéfices supplémentaires en matière de pouvoir d’achat (économies à la pompe).

Certes, on peut regretter qu’en conditionnant leurs aides à une production domestique, les autorités américaines ajoutent un frein à une coopération internationale qui, via la mise en commun des efforts de recherche et une réflexion plus collaborative, stimulerait le progrès technologique et l’expansion du marché : mais cette dimension patriotique joue autant comme un facteur d’émulation, une course au leadership technologique, et les contribuables américains n’accepteraient de toute façon pas de voir l’Asie et ses manufacturiers engranger seuls les bénéfices économiques de technologies généralement inventées et subventionnées aux Etats-Unis…

Le succès du véhicule électrique passe également par une approche globale, qui intègre la mise en place d’un écosystème indispensable : infrastructure de charge, décarbonation du mix énergétique, aménagement du réseau électrique et déploiement du smart grid. Cette vision intégrée véhicule en réalité un changement de paradigme, avec l’avènement de nouveaux business models qui permettent de mieux s’affranchir de certaines contraintes spécifiques à la voiture électrique. Particulièrement familière avec ce type d’innovations de rupture, la Californie a là tout son rôle à jouer, et c’est d’ailleurs à Palo Alto que les équipes de Shai Agassi ont mis au point le concept de « service de mobilité » de Better Place.

Si l’on ajoute les recherches actives de la Silicon Valley sur les batteries, la Californie n’est donc pas seulement la capitale du véhicule électrique aux Etats-Unis : elle en est aussi le laboratoire ! Forte de nombreux early adopters, elle constitue un terrain idéal pour expérimenter à une échelle significative nouvelles technologies, règlementations durcies et business models inédits, au profit de tous les acteurs du marché : c’est d’ailleurs en Californie que la plupart des constructeurs lancent leurs véhicules décarbonés, pour y affiner leur offre avant de s’attaquer à d’autres territoires.

Toujours en quête de réinvention et malgré le scepticisme du DoE en la matière, la Silicon Valley semble quant à elle déjà tournée vers le « véhicule électrique 2.0 » : une voiture dont le moteur électrique est alimenté par une pile à hydrogène…

JA.

Carnets américains – Innovation (6/6)

L’industrie française, dont les fleurons sont aussi principalement organisés autour de ces grands projets où prime la fiabilité du produit final, ressent des difficultés semblables.

Mais on ne peut pas comparer avec désinvolture les mentalités et pointer un doigt accusateur sur les industries texane ou française sans intégrer dans la réflexion le substrat auquel cet état d’esprit s’applique : quand le défaut d’un logiciel a pour conséquence un échec commercial, le dysfonctionnement d’un puits de forage pétrolier, d’une centrale nucléaire ou d’un avion, outre qu’il engloutirait des investissements colossaux, peut coûter la vie de centaines de personnes et corrompre durablement toute une région… Les enjeux et les risques n’ont pas la même ampleur, et les comportements s’accordent en conséquence.

Par leur taille, leur culture et leur activité, de telles structures sont donc peu compatibles avec la prise de risque que suppose une démarche innovante : les start-ups californiennes, plus flexibles et à l’impact local, y sont plus adaptées.

Mais pourquoi ne parvient-on pas à constituer en France  un tissu similaire de start-ups performantes?

Certains avancent que le management horizontal stimulant l’innovation est incompatible avec notre mentalité : les Français, fidèles à leur caractère à la fois royaliste et régicide, perdraient leurs repères sans la figure tutélaire du chef, dont ils se plaignent pourtant souvent.  Mais cela ne s’applique notamment pas à ces nombreux jeunes avides d’opportunités pour concrétiser leurs projets en toute liberté…

J’ai rencontré certains de ces entrepreneurs français qui ont fondé avec succès leur start-up dans la Silicon Valley. Quelques-uns s’y étaient déjà essayés en France – en vain. S’il s’agit bien seulement d’une question d’état d’esprit, pourquoi cette différence ? Auraient-ils subi un lavage de cerveau au-dessus de l’Atlantique ?

 L’un d’entre eux, heureux patron d’une start-up travaillant dans les smart grids, m’a expliqué son secret : « En France, l’argent n’est pas un problème : le FSI ou OSEO le mettent à disposition. Mais pour y avoir accès, on doit devenir expert en droit et en comptabilité. Et ça devient pire une fois la société établie… Ici, avec de l’audace, un projet assez solide et un peu de networking efficace, tu arrives très vite dans la cuisine d’un VC. Si tu as confiance en toi et parles bien, tu en ressors avec un chèque d’1 million de dollars ! Et si ça tourne court, ce n’est pas grave : la région regorge de solutions de repli…»

Par-delà l’absence d’un écosystème aussi porteur que celui de la Valley, la réponse tient donc surtout dans le manque, en France, de mécanismes de financement plus simples et plus légers. Découragées et étouffées par ces contraintes, ces jeunes structures, souvent en sous-effectif, finissent donc par échouer ou absorbées par des grands groupes qui, eux, peuvent se payer le luxe de directions juridique et financière. Mais, en général, pas prendre le risque d’être trop innovants !…

Ainsi, à travers le décalage entre la Silicon Valley et le Texas, ce sont en fait certains freins à l’innovation dans notre pays qui apparaissent. Et une pensée paradoxale, qui me fait sourire en montant dans le Boeing 737 prêt à décoller de Houston : « Finalement, le Texas, c’est un peu la France, non ?… »

JA.

Carnets américains – Innovation (5/6)

« This is California. This is not the United States. »

 D’un côté la Californie, en proie à des dettes publiques abyssales, mais paradis de l’innovation et des technologies vertes, dont le paradigme a été posé dès 1971 par Alan Kay, chercheur en science informatique au Palo Alto Research Center : « La meilleure façon de prévoir le futur est de l’inventer ! ».

De l’autre, le Texas, Etat le plus riche des Etats-Unis, porte-drapeau de l’Amérique conservatrice. Houston, Mecque de l’industrie pétrolière, et son Energy Corridor ou s’alignent les sièges de Shell, Exxon Mobile, ConocoPhillips et BP America…

Une industrie qui reverse en moyenne 1% de son chiffre d’affaires dans la R&D, quand le software et l’Internet y consacrent 14%. Certes, si le total des ventes se compte en centaines de milliards de dollars, c’est un montant significatif – des centaines de millions de dollars – qui va à la R&D, mais la fraction témoigne d’une culture profondément averse au risque et au changement.

Ajoutez à cela la relation compliquée qu’entretient le Texas de George W. Bush avec la France de Jacques Chirac – les French fries avaient été symboliquement rebaptisées Freedom fries au moment de l’intervention américaine en Irak – et vous mesurez le défi qui se pose à un jeune Français débarquant au Texas avec pour mission de convertir les Senior Vice Presidents du pétrole à l’innovation.

Dès l’arrivée à l’aéroport George H. Bush de Houston, le fossé se fait sentir. Hu Jintao est à Washington : à Palo Alto, on se réjouit par avance du renforcement des partenariats économiques ; ici, on se prépare à une guerre avec la Chine. Bienvenue au pays des cow-boys…

A la moindre proposition un peu trop audacieuse, on se voit immédiatement rétorquer : « Bon, vous, les gens de la côte Ouest, retournez jouer en Californie. Vous n’y connaissez rien : ça marche très bien comme ça. On ne veut pas d’un nouveau Macondo[1]. »

Mais les barrières à l’innovation y sont avant tout structurelles et culturelles : des considérations politiques qui perturbent les décisions stratégiques, une organisation confuse, assortie d’une hiérarchie rigide, qui favorise le travail en silos et mine la communication.

Chez certains pétroliers texans, il n’existe ni critères clairs quant aux investissements prioritaires, ni plateforme d’échange entre les opérateurs de terrain et les laboratoires de recherche. De fait, les ingénieurs de l’industrie pétrolière privilégient la sécurité des opérations et la fiabilité du produit final, non son renouvellement…

Dans un tel contexte, le risque n’est pas une option : la mise en place d’une chaîne de commandement stricte s’impose et l’émergence de silos procède d’une optimisation structurelle des opérations, qui, répétées à l’identique, seraient freinées par une organisation en projet innovant.

Quoique consciente de la nécessité d’évoluer face aux défis énergétiques et environnementaux (même si les révoltes arabes augmentent les marges sur un baril renchéri et si la crise japonaise soulève des questions sur le nucléaire), l’industrie petrolière texane est donc majoritairement construite sur un modèle qui bride l’innovation, au point que j’ai entendu cette distinction : « Voici ce que nous, ingénieurs, faisons. Qu’en pensez-vous en tant qu’innovateurs ? ».

JA.


[1] Macondo désigne le bloc exploratoire du Golfe du Mexique, au large de la Louisiane, où se situait la plateforme Deepwater Horizon (BP), qui a explosé en avril 2010.

Carnets américains – Innovation (4/6)

L’argent… Clef incontournable pour décrypter le système californien. Trois jeunes avec une idée, c’est bien. Trois jeunes avec une idée et 10 millions de dollars, c’est mieux…

Ainsi se résume ce qui se joue dans les rues de la Valley : si tant d’individus se consacrent pleinement à la construction de projets, c’est parce qu’ils ont la garantie de pouvoir rapidement lever les fonds nécessaires à la concrétisation de leur idée, fût-elle insensée. Car la région foisonne de ces investisseurs peu regardants à la dépense pour soutenir une initiative : les si courtisés « capitaux risqueurs » (VC, venture capitalists). Peu importe que l’un des projets subventionnés échoue : pour eux, ce n’est qu’une ligne dans un fichier Excel qui en compte vingt, et il suffit que deux ou trois pépites rencontrent le succès pour assurer la rentabilité de l’ensemble du portefeuille…

Cela pose pour moi une question fondamentale, quant au rapport de causalité entre ces observations : la volonté d’entreprendre et la tolérance à l’échec procèdent-elles de cet accès si facile au capital ou, au contraire, les capitaux-risqueurs ont-ils été attirés par une mentalité et un bouillonnement d’idées compatibles avec leur business model ?… La poule et l’œuf, en quelque sorte… Et la réponse se situe sans doute entre les deux.

Quoi qu’il en soit, la conjonction d’un état d’esprit favorable aux projets innovants, d’un climat méditerranéen, et de centres universitaires d’excellence contribuent à attirer vers la Silicon Valley de nombreuses forces créatives et audacieuses – entrepreneuriales, managériales et techniques. Elles créent cet écosystème unique, qui procure un avantage compétitif significatif, en accélérant la diffusion de la connaissance et des savoir-faire, grâce aux réseaux et à l’émulation. Mais la dynamique de l’ensemble est entretenue, sinon impulsée, par les VC et leurs liquidités…

Toutefois, il convient de noter qu’un accès au capital si débridé n’est pas sans revers : à force d’argent si facile et rapide, on perd rapidement tout repère. L’emballement de l’industrie de l’Internet, qui mena à l’explosion de la bulle «.com » (2001), en est un exemple parlant : il conduisit à la faillite d’innombrables start-ups et à une contraction significative des volumes investis par les VC.

Même si ce repli reste aujourd’hui prégnant, la leçon a-t-elle bien été retenue ? On peut en douter au vu des valorisations parfois délirantes dans les « réseaux sociaux virtuels » : Facebook est ainsi valorisé à $50M (pour un chiffre d’affaires d’environ $2M, « seulement », en 2010) ou Twitter à $8M ($100m de chiffre d’affaires en 2010).

Les standards inflationnistes de la Valley ont la dent dure et semblent oublier que le rachat de YouTube par Google, en 2006, pour 1,65 milliard de dollars (soit également 100 fois son chiffre d’affaires annuel) s’est soldé jusqu’alors par un échec économique (près de $500m de pertes en 2009), au point que le moteur de recherche garde désormais jalousement secrets les chiffres relatifs au site de partage de vidéos…

Après toutes ces observations, une question vient naturellement : Qu’en est-il ailleurs ? Rêve exclusivement californien ou mythe américain ?

JA.

Carnets américains – Innovation (3/6)

L’état d’esprit californien se distingue ensuite par la confiance qui est accordée aux talents et aux idées de chacun.

Cela signifie que la contribution de regards extérieurs est acceptée, et attendue, dans tout projet innovant : même s’il n’est pas compétent dans le domaine, un spécialiste du système de santé peut être appelé à intervenir dans une mission aéronautique car son œil inexpérimenté et naïf pourra mener vers des idées originales… D’où une implication transversale et de nombreux va-et-vient d’un projet à un autre.

Bien souvent, lorsqu’une de ces propositions est retenue, mon esprit d’ingénieur français est sceptique : « C’est techniquement impossible ! Ça ne marchera jamais. » Autour de la table, pourtant, c’est souvent l’enthousiasme : « Essayons : on verra bien. »

 « Essayons : on verra bien »… Peu importe que la tentative se solde par un échec, l’important est de se lancer dans l’aventure. Il y a ici une différence fondamentale : là où en Europe, l’échec compromet souvent définitivement une carrière, la Silicon Valley valorise l’erreur, car elle revêt une portée pédagogique. Se tromper souvent et rapidement, pour réussir au plus vite. Les fondateurs de Google affirment même : « Nous n’embaucherions jamais une personne dont le CV n’indique pas au moins la création de deux ou trois start-ups qui ont ensuite failli. »

La majorité des projets qui s’élaborent dans les cafés de Palo Alto sont ainsi voués à l’échec, mais il y a là un levier fondamental, qui encourage l’esprit d’entreprise et favorise cette abondance d’idées aussi diverses que folkloriques… Mais pour soutenir cela, bien sûr, il faut de l’argent…

JA.

Carnets américains – Innovation (2/6)

Quels sont donc les attributs qui permettent à la Silicon Valley de s’affirmer comme le moteur de toutes les grandes vagues d’innovation : les nouvelles technologies d’information et de communication hier, les technologies propres aujourd’hui ?

Ma première observation concerne l’état d’esprit : la Californie se caractérise par un management horizontal et une grande liberté vis-à-vis des codes.

Ainsi, il m’a fallu de longues semaines avant de comprendre l’organisation interne d’IDEO, tant la hiérarchie y est inexistante : on peut diriger une mission dans le textile et la mode, tout en étant simple contributeur dans un projet agro-alimentaire.

Le titre (quand il figure effectivement sur la carte de visite) est tout à fait secondaire : le travail doit être accompli, peu importe le reste. Il ne faut donc pas être surpris de voir les fondateurs historiques de la compagnie, quinquagénaires auréolés de reconnaissances, travailler assis à un simple bureau au milieu de l’open space

Les rues de Palo Alto bruissent d’anecdotes sur Mark Zuckerberg faisant la queue en short et en tongs à la cantine de Facebook. Un jour de pluie à Palo Alto, j’ai vu – stupéfait – notre CEO Tim Brown, se précipiter pour me tenir la porte…

Au fil de ces histoires sur « Zuck’ » et « Tim », je ne peux m’empêcher de songer à certains de nos CEO francais, personnages  brillants mais souvent inaccessibles… N’en déplaise à Einstein, Dieu joue peut-être aux dés ; mais assurément, il ne porte ni short ni tongs…

Mais ne nous y trompons pas : s’affranchir des contraintes de toute sorte participe en réalité d’une stratégie globale visant à stimuler la créativité. L’innovation ne se décrète pas : il s’agit donc de faire tomber toutes les barrières à l’émergence de bonnes idées. Organiser la sérendipité, en somme.

Si la cravate est évidemment proscrite, ce sont en fait toutes les contingences matérielles qui sont prises en charge par les entreprises afin que les employés optimisent leur temps et se consacrent pleinement à la réflexion, l’échange et la génération d’idées : Yahoo! et Google ont mis en place pour leurs salariés des navettes domicile/travail gratuites (naturellement équipées de la connexion Wifi) ; IDEO offre le petit-déjeuner ; Facebook « blanchit » ses employés…

JA.

Carnets américains – Innovation (1/6)

Le soleil californien brille sur la Highway 101. Des bolides à la conduite erratique zigzaguent dangereusement sur les six voies descendant vers le Sud de la Baie de San Francisco : ils sont immatriculés « Excel 2.0 », « LoveJava » ou « Surfnow ». Bientôt, nous sommes sur University Avenue. A quelques blocs de là, se dresse le gigantesque campus de l’Université de Stanford, jouxtant le siège de Hewlett Packard ou de Facebook, sur California Avenue. Un virage à gauche et voici le siège d’IDEO. Cette société de conseil en innovation, très cotée dans la Silicon Valley, défend un concept original : améliorer la culture d’innovation en se focalisant sur l’individu. Avançons un peu et nous arrivons au mythique Cupa Café, point de rencontre incontournable entre des jeunes rêvant de concrétiser leurs idées et les « capitaux risqueurs » qui les financent : derrière les vitres, on peut observer les gesticulations passionnées de ces entrepreneurs qui, Macbook Pro à l’appui, s’efforcent de convaincre les bailleurs de fonds.

Bienvenue à Palo Alto, CA.

Barack Obama y a fait une apparition remarquée en février, pour y rencontrer un cercle très fermé d’entrepreneurs privilégiés. Steve Jobs, le charismatique patron d’Apple, y vit : on le croise parfois, en jeans et baskets, gobelet en plastique à la main, dans un café. Citoyen lambda.

Alors qu’IDEO célèbre le départ d’un des siens pour la marque à la pomme dans un restaurant bon marché, on avise la frêle silhouette de l’homme à la santé délicate, attablé seul, dans un coin de la salle. Un directeur se lève pour l’inviter à nous rejoindre :

« Steve, cette petite fête est en l’honneur d’un des nôtres, qui nous quitte pour Apple…

–                Apple ? J’ai entendu parler d’eux…

–                C’est un Interaction Designer.

–                Il est bon ? »

Dialogue surréaliste pour un lieu bel et bien extraordinaire, tant par l’état d’esprit et le bouillonnement d’idées, que par l’écosystème foisonnant d’entreprises innovantes, de matière grise et de liquidités.

Quels sont les ingrédients qui fondent le succès de ce modèle ? Quelles en sont les limites ? Dans quelle mesure sont-ils répandus aux Etats-Unis ?

Mon propos n’est pas ici de résoudre en quelques pages le complexe débat sur l’innovation. Il s’agit plutôt de partager quelques éléments de réflexion, fruits des observations auxquelles je me suis livré depuis mon arrivée sur le sol américain.

JA.

Pourquoi Bahreïn ne tombera pas

Avant que la folie sanguinaire de Mouammar Kadhafi ne détourne l’attention médiatique vers la Libye, c’est le royaume pétrolier du Bahreïn qui soulevait l’inquiétude des observateurs.

La dynastie sunnite Al Khalifa règne depuis 1783 sur ce petit archipel du Golfe Persique, indépendant depuis 1981, relié à l’Arabie Saoudite par la Chaussée du Roi Fahd (un pont de 25 km inauguré en 1986), et qui compte 1.2 millions d’habitants, dont plus de la moitié sont en réalité des expatriés.

Lassés par la mainmise de la minorité sunnite (30% des autochtones) sur l’establishment politique et économique, la population, dans la foulée des révoltes tunisienne et égyptienne, a commencé à réclamer un assouplissement du régime. Mais, avec la violence de la répression opérée par les forces de l’ordre, tirant à balles réelles sur la foule des manifestants, les revendications populaires se sont durcies pour exiger le départ du roi Hamad Ibn Isa Al Khalifa, sur le trône depuis 2002, et de son oncle, le Premier Ministre cheikh Khalifa ben Salman Al-Khalifa, en poste depuis 40 ans… A Manama, la capitale, autour de la place de Perle – rebaptisée place Tahrir par analogie avec les évènements du Caire – les combats ont fait des dizaines de blessés et causé la mort de plusieurs personnes.

Si la situation exige du régime qu’il s’engage sur la voie de réformes démocratiques, tout porte à penser que Bahreïn ne tombera pas.

Une armée sunnite loyale – D’abord, les forces de l’ordre bahreïni sont recrutées exclusivement au sein de la minorité sunnite et resteront donc totalement fidèles au régime. Contrairement aux nombreuses défections observées parmi les officiers intermédiaires tunisiens ou égyptiens, il est hautement improbable que les militaires bahreïni s’identifient à la foule des manifestants chiites et rejoignent leur cause.

Le spectre de l’Iran chiite – L’Arabie Saoudite wahhabite suit avec une vive inquiétude la révolte chiite à ses frontières, à travers laquelle elle voit le spectre de l’ennemi iranien. Riyad n’acceptera pas l’avènement d’un émirat chiite, sous influence de Téhéran, à ses portes, et fera tout pour soutenir les Al Khalifa : l’envoi de renforts militaires, ralliant Manama en empruntant la chaussée du Roi Fahd, est une option sérieusement considérée – sinon déjà levée : certaines troupes saoudiennes auraient incorporées les forces bahreïni…

La Vème flotte US – Dans cette même perspective, la chute du régime Al Khalifa, soutenu par Washington, signifierait le départ du quartier général de la puissante  Vème Flotte américaine, installé à Bahreïn au début des années 1990. La perte de ce point de contrôle stratégique, à l’heure où la politique étrangère des États-Unis est essentiellement sous-tendue par un effort de containment de l’influence iranienne, sonnerait comme une défaite de Barack Obama face  à Mahmoud Ahmadinejad.

Aussi, si les Américains ont finalement lâché Hosni Moubarak, ils maintiendront leur soutien au régime en place à Manama, tout en encourageant en sous-main l’ouverture démocratique et une meilleure gouvernance. C’est tout le sens, d’ailleurs, de l’action d’Hillary Clinton depuis sa visite sur l’archipel en décembre 2009.

Dans ces conditions, vers où l’effet de contagion des révoltes arabes se portera-t-il désormais ? Il convient d’avancer prudemment dans ce jeu de dominos qui a successivement touché des pays aux contextes extrêmement divers.

La chute de Zine el-Abidine Ben Ali à Tunis, puis d’Hosni Moubarak au Caire, avait immédiatement orienté les regards vers deux régimes comparables : le Yémen d’Ali Saleh et la Libye de Mouammar Kadhafi – un quatuor qui cumule la bagatelle de 126 années au pouvoir.

Au Yémen, Ali Saleh s’est engagé à ne pas se représenter aux prochaines élections présidentielles, se retirant après 32 ans à la tête du pays le plus pauvre du Golfe (35% de chômage), en proie à des tensions sécessionnistes et sanctuaire d’Al Qaeda. Cela suffira-t-il à calmer la soif de libertés du peuple yéménite ? Jusque là, la tension est retombée compte tenu de la profonde division des protestataires, qui craignent par-dessus le marché que l’effondrement du régime n’entraîne le pays dans le chaos et la guerre civile.

En Libye, après 42 années de règne, le pouvoir de Kadhafi vacille. Effrayé par l’intervention américaine en Irak et la chute de Saddam Hussein en 2003, Mouammar Kadhafi avait décidé de se racheter une conduite, en rompant avec le terrorisme d’Etat (attentat de Lockerbie, 1988, 270 morts – attentat du DC10 de UTA, 1989, 170 morts au-dessus du Niger) et en abandonnant ses progra mmes nucléaire et balistique.

Alors réintégré dans la communauté internationale, l’extravagant colonel vient de montrer son vrai visage de tyran, prêt a tout pour se maintenir au pouvoir, en bombardant son propre peuple depuis des avions de l’Armée de l’Air et des bâtiments de la Marine, et en semant la terreur dans les rues de Tripoli avec ses mercenaires. Véritable Ubu en son palais, détruit par les bombardements américains de la fin des années 1980, parlant de lui à la troisième personne, le « Guide de la Grande Révolution du Premier Septembre pour la Jamahiriya Populaire Socialiste de Libye » est apparu à la télévision pour exclure son départ et, tout à son irresponsabilité, menacer d’une guerre civile.

Un appel féroce et une répression sans commune mesure qui sonnent comme un chant du cygne : Kadhafi pourra-t-il se maintenir au pouvoir ? S’il y parvient, il retrouvera assurément ce statut de paria qui était le sien avant 2003 : à quelle légitimité peut prétendre un leader qui bombarde sans distinction son peuple désarmé ? Mais cette hypothèse se réduit tandis qu’avec les progrès de la rébellion, l’étendard du royaume de Libye (en vigueur avant le coup d’Etat de Kadhafi en 1969) flotte dans les régions orientales du pays, alors que de nombreux diplomates et dignitaires se rallient à la cause des manifestants, et que les tribus – très influentes – lâchent le “dirigeant frère”… (En se drapant de la tenue traditionnelle de sa tribu Qadhdhafa , le grotesque colonel est d’ailleurs plutôt apparu, lors de son intervention, en chef de clan qu’en rassembleur de l’ « État des Masses »).

Devant des représailles aussi sanglantes, le cas de la Syrie de Bachar el-Assad vient à l’esprit : si le régime de fer de Damas venait à être contesté, la répression pourrait être tout aussi violente…

Mais ce qui se joue à Tripoli dépasse de loin le seul sort des révoltes arabes et de leur propagation. Car Mouammar Kadhafi est en train d’entraîner la Libye dans sa chute : en attisant les risques de guerre civile, il ouvre la voie à une somalisation du pays, porteuse de graves dangers pour l’Europe.

D’abord, parce que l’Europe dépend fortement des importations de pétrole libyen : le brut estampillé Tripoli représente 23% des importations irlandaises, 22% en Italie, 21% en Autriche, 19% en Suisse ou 16% en France. La répercussion instantanée des évènements sur le prix du baril en est une des manifestations immédiates : l’agitation risque d’interrompre les approvisionnements et Kadhafi pourrait décider de pratiquer la politique de la terre brûlée en sabotant les pipelines…

Ensuite, parce qu’une sécession de l’est du pays serait un brèche inespérée pour les djihadistes locaux : que dirait-on de l’instauration d’un “émirat islamique de Benghazi” à quelques centaines de kilomètres des côtes européennes, avec de surcroît le risque d’une jonction avec les activistes d’Al Qaeda au Maghreb islamique ?

Ce double enjeu économique et sécuritaire (l’approvisionnement énergétique et la lutte contre le terrorisme) fonde la nature tout à fait spécifique  de la révolte libyenne et exige des Européens et des Américains une réponse rapide et ferme, actionnant tous les leviers disponibles…

JA.

 

Dilma Rousseff, ou les défis d’un Brésil émergé

Elue à la Présidence du Brésil le 30 octobre dernier avec 56% des voix, Dilma Rousseff prend les commandes d’une économie florissante, qui, forte d’une croissance annuelle de près de 7% ces dernières années (à l’exception de 2009, année de crise), s’est affirmée parmi les grandes puissances émergentes. Pour autant, depuis Stefan Zweig qui posait, dès 1941, le Brésil comme un « pays du futur », le géant d’Amérique du Sud n’en finit pas de susciter le débat : éternel pays d’avenir ou véritable puissance du XXIème siècle ?

Trajectoire chaotique que celle de ce colosse qui n’a eu de cesse, tout au long XXème siècle, de trébucher sur ses pieds d’argile.

Dès la première moitié du XXème siècle, le Brésil est promis aux plus grands succès : attractif pour les investisseurs étrangers, il rayonne à travers son football virevoltant et sa culture Bossa Nova. Mais le pays s’enfonce dans la dictature militaire entre 1964 et 1985 : il en ressort éreinté et sombre dans une crise de la dette. L’hyperinflation fragilise les institutions et accroît la pauvreté, qui donne naissance aux sinistres favelas essaimant autour des grandes villes.

Mis en place en 1994, le Plano Real du Ministre de l’Economie puis président de la République, Fernando Cardoso parvient à juguler l’inflation et à remettre de l’ordre dans les finances et l’économie brésiliennes. A la faveur d’une alternance politique qui survient en 2002, dans le calme et la continuité démocratique, en dépit de nombreuses craintes, son successeur, Lula, élu du Parti des Travailleurs, maintient le cap de la rigueur budgétaire.

La stabilité politique s’associe ainsi au rétablissement monétaire pour favoriser les investissements étrangers et redresser l’économie brésilienne, qui décolle, grâce aux Plans d’Accélération de la Croissance (PAC) : fort de formidables richesses naturelles (fer), énergétiques (hydrauliques, pétrolières) et agricoles (café, soja, sucre), le Brésil s’ouvre au monde… Profitant de cette restructuration et de l’afflux des capitaux étrangers, Lula met en place les conditions de larges avancées sociales : son mandat voit la pauvreté reculer de 40%, et l’expansion d’une vaste classe moyenne de près de 50 millions d’individus, qui soutiennent la demande et dynamisent l’économie.

Aujourd’hui solidement ancré sur le secteur agro-alimentaire d’une part (25% du PIB et 33% des emplois) et l’industrie (28,5% du PIB), le pays bénéficie en outre d’un formidable potentiel humain : il est le 5ème Etat le plus peuplé du monde, avec ses 185 millions d’âmes, dont la capacité d’adaptation et la dynamique de progrès sont unanimement plébiscitées par les investisseurs étrangers.  Le baby-boom qui s’annonce pour les trente prochaines années constitue de ce point de vue, à lui seul, un formidable levier de croissance.

Puissance régionale incontestée, acteur influent à l’OMC et grenier du monde, le Brésil n’est donc plus ce colosse aux pieds d’argile. Doit-on en conclure que le séjour de Dilma au palais du Panalto sera une sinécure ? Bien entendu, non. Si ce faisceau d’éléments structurels consolide la robustesse de l’économie brésilienne, de nombreux défis se posent encore à ce pays de contrastes.

De fait, le Brésil reste profondément inégalitaire, avec encore 30 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté : bien que réduites, ces inégalités nourrissent la violence et l’insécurité. Malgré une formation supérieure performante, inspirée du modèle français, qui produit des ingénieurs de grande qualité, l’éducation souffre de fortes défaillances.

Pour les investisseurs étrangers, les carences du pays en matière d’infrastructures et les lourdeurs d’une bureaucratie complexe, où subsiste une corruption rampante, sont des obstacles conséquents.

Par ailleurs, un système fiscal fondé sur des taux d’intérêt élevés, qui accroissent le coût du capital, et de lourdes taxes à l’exportation grèvent l’attractivité du Brésil : de nombreux industriels déplorent que Lula n’ait pas réformé ces dispositions, auxquelles Dilma se veut quant à elle résolument attachée. En ce sens, avec une chaîne logistique obsolète, le Brésil n’est pas une bonne plateforme d’exportations. La taille du marché intérieur, heureusement suffisant pour saturer les usines de production, n’en est que plus fondamentale.

Sur le plan économique, il faut garder à l’esprit que la croissance brésilienne est très largement tirée par la demande mondiale en matières premières. Or, sur fond de guerre des monnaies, la compétitivité des produits brésiliens pourrait être mise à mal par la concurrence chinoise. Face à un yuan artificiellement sous-évalué, le real s’est apprécié de 40% depuis 2004 quand le peso mexicain perdait 16% de sa valeur sur la même période : cette surévaluation de la monnaie brésilienne, amenée à s’aggraver avec l’afflux de capitaux américains liés à l’injection de liquidités par la Réserve Fédérale, constitue un véritable risque à l’exportation pour Brasilia.

Parallèlement, la demande intérieure est gonflée par l’endettement, auquel recourent nombre de ménages, tandis que l’épargne demeure très faible : ce phénomène fait craindre, à terme, l’explosion d’une bulle du crédit à la consommation, et un ralentissement de la croissance qu’il entretient.

Tous ces risques, toutefois, la classe politique brésilienne, pragmatique et responsable, garante d’institutions démocratiques et stables, en a clairement conscience. Héritière du Président Cardoso, qui a donné au Brésil les conditions de son affirmation, et du Président Lula, qui les a consolidées et a montré le cap à suivre, Dilma Rousseff sait que la montée en puissance de son pays est irréversible… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si pour les investisseurs étrangers, le Brésil est, parmi les quatre BRIC et malgré le caractère incontournable de la Chine, le pays qui affiche le meilleur rapport Risques / Opportunités.

De ce point de vue, la France a une formidable carte à jouer.  Implantée de longue date, elle bénéficie d’une forte proximité intellectuelle avec le Brésil, que le 12 juillet 1998 ne semble pas avoir ébranlée.

Par-delà cette dimension affective, rappelons-nous qu’avec la Guyane, notre pays est sud-américain, et que notre plus longue frontière terrestre nous sépare… du Brésil. En inaugurant conjointement, d’ici à la fin de l’année 2010, le pont sur l’Oyapok, qui relie la Guyane à l’Etat brésilien d’Amapa, les Présidents Sarkozy et Lula concrétiseront ce lien physique.

Enfin, les récentes rencontres bilatérales ont confirmé que la France et le Brésil partagent une vision commune de la conduite des affaires du monde, qui doit être le fondement d’une coopération approfondie entre nos deux pays.

Deux grandes thématiques méritent d’être soulignées ici. D’abord, le développement durable, sujet sur lequel Paris et Brasilia sont tous deux en pointe. La France s’est affirmée comme un leader européen sur le sujet et bénéficie déjà d’une électricité très largement décarbonée. De son côté, le Brésil, qui abrite la forêt amazonienne et produit 85% de son électricité à partir de ses ressources hydrauliques, est particulièrement sensible à cette problématique, comme en témoignent les 20% de voix recueillis au premier tour de l’élection présidentielle par Maria da Silva, candidate écologiste et ancienne Ministre de l’Environnement.

Ensuite, l’industrie de haute technologie : la France comme le Brésil disposent d’ingénieurs de très grande qualité et de cultures très proches, terreaux propices à des synergies accrues, par exemple dans le domaine du nucléaire civil (le Brésil ayant relancé son programme) ou de la défense. A cet égard, la désignation par l’armée brésilienne, attendue dans les prochaines semaines, du vainqueur de l’appel d’offres relatifs aux avions de combat, portant sur plusieurs milliards de dollars, constituera un test majeur : si, malgré les pressions intenses du lobby suédois en faveur du Gripen de SAAB, le Rafale de Dassault empoche le contrat, une nouvelle preuve sera apportée que le marché brésilien constitue une formidable opportunité pour la France.

En définitive, il convient de dépasser le débat obsolète sur l’avenir du Brésil : il semble bien que le pays du futur ait définitivement embrassé le présent, et il s’agit d’en tirer toutes les conséquences.

LC.

Réflexion nourrie d’une conférence donnée à la Maison de l’Amérique latine, en présence de :

– Son Excellence Alain Rouquié, Président de la Maison de l’Amérique latine et ancien ambassadeur de France au Brésil,

– M. Jean-Pierre Clamadieu, P-DG de Rhodia

– M. Jean-Pierre Floris, Comité Exécutif de Saint-Gobain, Directeur du Pôle Matériaux Innovants

– M. Jean-Carlos Agulo, Comité Exécutif de Lafarge, Directeur-général adjoint en charge de l’Amérique du Nord, de l’Amérique du Sud, de l’Europe de l’Ouest et de l’Organisation technique de la Branche ciment.

– M. Humberto Antunes, CEO Galderma

– M. José Luiz Rossi, CEO CPM Braxis, Capgemini