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Prince Ali

Ali Bongo investi Président de la République du Gabon, le 16 octobre 2009C’est fait. Après son élection controversée, le 30 août dernier, Ali Bongo Odimba a  été « sacré », vendredi 16 octobre, Président de la République du Gabon. Il prend ainsi la tête de ce petit Etat pétrolier d’Afrique centrale, à la suite de son père décédé au printemps dernier : Omar Bongo, sans doute le plus ancien et le plus trouble allié de la France en Afrique.

Continuité de la Françafrique, ses relations compromettantes, ses jeux de réseaux,  cette interdépendance occulte des politiques franco-africaines ? Le fils du « mollah Omar » a beau s’en récrier, plaidant pour « la rupture » et la « moralisation de la vie politique gabonaise », on est en droit d’en douter : ne sera-t-il pas tenté de reprendre cette coutume paternelle, qui consistait à éliminer les rivaux par la corruption, au point de philosopher : « L’opposition n’est pas chose permanente »? Après la volonté de rénovation des relations avec les anciennes colonies affichée par le candidat Nicolas Sarkozy, l’inflexion de la politique africaine de la France, marquée par le départ du rénovateur Bruno Joubert de la cellule Afrique de l’Elysée, marque bien un retour aux vieilles habitudes qui ont émaillé la Vème République.

FrançafriqueCes liens incestueux, cette ambiguïté qui fonde les relations entre la France et l’Afrique autour des intérêts stratégiques et économiques de l’Hexagone au détriment de la société africaine, Pierre Péan en brosse un tableau édifiant dans son ouvrage, Affaires Africaines. J’ai déjà pris, dans ces pages, mes distances avec ce journaliste controversé aux thèses parfois tendancieuses, et il convient donc d’analyser sa théorie avec circonspection. Force est de reconnaître, néanmoins, qu’elle fait écho à nombre de propos rapportés ailleurs…

Pris dans un tourbillon de barbouzes, de mercenaires et de sociétés écrans, on y découvre un Gabon où se constitue, au fil des ans, sous la houlette de Jacques Foccart, secrétaire d’Etat aux affaires africaines et malgaches du Général de Gaulle, un Clan prêt à tout pour préserver ses intérêts économiques et stratégiques. C’est ainsi que la rencontre à Libreville d’acteurs hors du commun, sur fond d’enjeux pétroliers, exacerbera dans ce petit pays d’Afrique, l’interpénétration des influences et la fluctuation des pôles de pouvoir. Toujours mu par les mêmes moteurs, la politique, l’argent et l’ambition, ce cocktail explosif liera indissociablement le destin du Gabon à notre Vème République.

Tout commence, donc, par cette volonté des hauts dirigeants français de garder l’Afrique francophone dans leur « domaine réservé ». Ainsi, ne craignant pas l’ingérence, le France intervient militairement en 1964 pour remettre au pouvoir le vieux Léon M’Ba, premier Président du Gabon, renversé quelques heures plus tôt par un coup d’Etat. Le sachant malade, Foccart lui cherche ensuite un successeur qui continue à préserver les intérêts de la France : son dévolu se porte sur Albert-Bernard Bongo, ancien employé des Postes et agent des services français, qui vient à Paris pour être littéralement « testé » par le Général, avant d’être élu Vice-Président en 1967, dans des conditions rocambolesques qui voient le Président M’Ba, agonisant à Paris, prêter serment à l’ambassade du Gabon.

Jacques Foccart et Omar BongoLorsqu’il accède à la magistrature suprême, à la mort de M’Ba en novembre 1967, celui qui deviendra Omar Bongo à sa conversion à l’islam a 32 ans et n’est que la « marionnette de la France ». Il ne doit sa place qu’à la « galaxie Foccart », ces réseaux d’intérêts français savamment organisés autour de lui, où l’on croise des membres des services (le SDECE, ancêtre de la DGSE), du Service d’Action Civile (SAC), des anciens de l’OAS, des Bérets Verts, et les pétroliers d’Elf. Le colonel Maurice Robert, ancien du SDECE, passé à Elf-Gabon avant de devenir ambassadeur de France à Libreville incarne ce mélange des genres.

Ce « Clan des Gabonais » constitue une véritable toile d’araignée aux ramifications tellement puissantes que, lorsque Foccart quitte l’Elysée avec l’arrivée au pouvoir de Valery Giscard d’Estaing, il survit parfaitement et parvient à poursuivre ses « coups » en marge des circuits officiels dont il s’affranchit. Les membres du Clan sont tous liés par un intérêt commun : la sauvegarde du régime. D’un côté, Bongo tient sa légitimité et sa sécurité du Clan : les militaires français et la Garde Présidentielle, truffée de coopérants hexagonaux, sont la clef de voûte et les seuls garants de son pouvoir. De l’autre, les réseaux Foccart sont sûrs de trouver en la personne du jeune président un allié fidèle qui fermera les yeux sur leurs malversations et leur diplomatie parallèle, pratiquées au nom d’une « certaine conception des intérêts de la France », qu’il défendra à coup sûr.

On n’est donc pas trop regardant sur les « services » que l’on rend au jeune maître de Libreville. Des mercenaires, à l’instar du truculent Bob Denard, sont chargés du « sale boulot » : on leur attribue nombre de coups tordus, depuis la tentative de coup d’Etat au Bénin voisin, jusqu’à l’assassinat d’opposants politiques ou d’un amant de la Première Dame…

Le colonel Bob Denard, mercenaire en Afrique (ici aux Comores en 1995)Le Président Bongo s’en accommode d’autant mieux qu’il y trouve son compte. Disposant de la clef des richesses gabonaises, il peut rapidement mettre en place un système, aux rouages huilés par la manne pétrolière, qui lui permet d’accaparer l’essentiel des ressources nationales. En offrant à Elf des marges substantielles, il crée des liens indissolubles entre le Gabon et le pétrolier français qui en devient, via la Provision pour Investissement Diversifié (PID), le principal promoteur industriel, en alimentant près de 60% du budget national. Ces poches de l’Etat, qui auraient une certaine tendance à se confondre avec celles de son Président, sans doute déjà remplies par d’avantageuses rétro-commissions… Dans son livre, Blanc comme nègre, Bongo récuse ce terme et lui préfère celui de « rémunérations » accordées par Elf-Gabon au titre de services rendus.

On le voit, les parrains français de ce Gabon indépendant ont réussi à le débarrasser des oripeaux de la démocratie et de l’éthique. Forts de leur emprise sur le Président Bongo, ils y ont mis en place un système pour défendre leurs intérêts économiques, stratégiques, militaires et énergétiques, qu’ils confondent volontiers avec ceux de la France et qu’appuient leurs puissants relais à Paris.

Pourtant, très vite, la marge de manœuvre de Bongo va s’accroître : il va prendre son autonomie pour devenir, à son tour, le véritable parrain du Clan… D’abord, force est de reconnaître qu’Omar Bongo a très vite su faire ses preuves sur le plan intérieur et s’imposer, aux yeux de la France comme du reste du monde, comme un facteur incontournable de stabilité et d’unité du Gabon. Fin connaisseur des tensions latentes dans le pays, en particulier ethniques, il sait composer avec celles-ci pour les inhiber et réduit l’opposition à force de corruption. En somme, en maintenant un système politique unipartite jusqu’en 1990, Bongo entend prévenir les dangers du multipartisme qui, dans le contexte de jeunes nations africaines encore à bâtir, constitue « un élement de désordre et de stagnation » et « cristallise les divisions » en favorisant notamment les replis ethniques. Ce faisant, il faut mettre à son crédit le climat globalement pacifique de ses 41 ans de règne, qui accroîtra sa crédibilité au plan international.

Ensuite et surtout, pour s’affranchir de la tutelle du Clan et en prendre à son tour la tête, Bongo dispose d’un atout de poids. De fait, à force d’observer les pratiques des réseaux Foccart, de subventionner les campagnes des différents partis politiques français, Bongo connaît bien des secrets. Comme ses matières premières, son silence et sa complicité ont un prix.

A ce stade, les jeux d’influence cessent d’être à sens unique. Fin connaisseur des chausse-trapes et des coups fourrés de la vie politique hexagonale, Bongo en devient un des acteurs incontournable et courtisé. Il aurait ainsi joué un rôle non négligeable dans l’affrontement entre Jacques Chirac et Valery Giscard d’Estaing. Jusqu’alors, la politique de Libreville se décidait en France. Désormais, le Président gabonais pèsera également sur les décisions de Paris, bénéficiant  en ce sens aussi bien du noyautage de l’appareil d’Etat français par le Clan que de ses réseaux maçonniques. C’est lui, par exemple, qui impose au Président Giscard d’Estaing la nomination de l’ambassadeur de France au Gabon, Maurice Robert, en 1979. On en vient à dire que la politique africaine de la France se dessine exclusivement entre la rue Nélaton, siège d’Elf, et Libreville…

Omar BOngo et François MitterrandAu final, ce sont donc de complexes canaux de renseignements et de diplomatie parallèles qui sont à l’œuvre et l’intrication des affaires gabonaises et de la politique française qui s’affirme. En dépit des volontés de vent nouveau, la realpolitik s’impose à Paris : la défense des intérêts de la France laisse les grands principes sur le bas-côté de la route. François Mitterrand lui-même devra abandonner ses a priori initiaux sur un Gabon, « repaire de barbouzes » infréquentable, car précisément, sur cette route tortueuse, note encore Omar Bongo avec componction, « l’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur, la France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant. »

Aujourd’hui, Jacques Foccart n’est plus, mais ses réseaux subsistent sous des formes diverses, et son héritier, l’ineffable avocat franco-libanais Robert Bourgi, a pris le relais. Fin connaisseur de l’Afrique et de ses dirigeants, il apparaît comme l’éminence grise, l’intermédiaire officieux de l’Elysée sur le continent noir. Quand les circuits officiels martelaient à l’envi, avant l’élection présidentielle du 30 août, qu’ « au Gabon, la France n’a pas de candidat », Bourgi prenait position – à titre personnel ! – en faveur d’Ali Bongo, « le meilleur défenseur des intérêts français dans tous les domaines ».

La preuve que la Françafrique, avec son cortège de réseaux d’intérêts et de canaux diplomatiques souterrains, a encore de belles heures devant elle…

LC.

Ecouter Robert Bourgi sur l’élection présidentielle gabonaise et la Françafrique

La corruption en Françafrique, par Pierre-Jean Gire

Omar BongoLa disparition du Président gabonais Omar Bongo, le 8 juin dernier, marque bien plus que la fin d’un règne sans partage de plus de 41 ans.

Placé à la tête du Gabon avec la bénédiction de Jacques Foccart, le très discret « Monsieur Afrique » du général de Gaulle, le dinosaure Omar Bongo résumait à lui seul un système, avec son cortège d’intérêts croisés, de liens occultes et d’affaires troubles.

La Françafrique : une saga africaine intimement liée à la France. De de Gaulle à Chirac, « le plus vieil ami africain de la France » avait su se rendre incontournable : il en savait trop pour être mis au rencart. Même le Président Sarkozy, pourtant résolu à changer les relations avec l’Afrique, se fendit d’un coup de fil au vieux crocodile, le jour même de son élection, pour le remercier de ses « bons conseils », avant de clore sa première tournée officielle à Libreville. Ménager l’influence jamais démentie du Président gabonais, et céder à sa colère en expédiant aux Anciens Combattants le trop abrupt Secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, hostile à la Françafrique…

Aujourd’hui, cependant, après l’affaire dite des biens mal acquis, la disparition du doyen des chefs d’Etat africains délie les langues et c’est tout un faisceau de manipulations et de corruption qui est mis en lumière.

Mais Omar Bongo, derrière ses lunettes noires et sa moustache, n’avait pas le monopole du non-respect des lois. Tandis que le Président nigérien Mamadou Tandja vient de faire modifier la Constitution de son pays afin de briguer un troisième mandat, d’autres dirigeants africains se livrent à des coups d’Etat constitutionnels similaires : Abdelaziz Bouteflika en Algérie, Idriss Deby au Tchad, Paul Biya au Cameroun… Dans l’indifférence générale, le Président djiboutien Ismaël Omar Guelleh a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat, au mépris de la Loi Fondamentale, et son homologue burkinabais Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir par les armes en 1987, évoque déjà un changement constitutionnel ouvrant la voie à un cinquième mandat en 2015…

Autant de pratiques qui minent la bonne gouvernance en Afrique, cette condition indispensable au développement économique du continent, comme l’ont rappelé récemment Barack Obama et Hillary Clinton.

M. Pierre-Jean Gire au siège des Nations unies, à Bonn (2 juin 2009)Fonctionnaire des Nations unies, expert international, Pierre-Jean Gire a été un observateur privilégié de ces pratiques au Gabon, où il a dirigé, entre 1991 et 2000, l’ensemble des missions d’audit menées par les organisations internationales dans le but de préparer la privatisation d’entreprises d’Etat. Aujourd’hui Président de l’Institut des hautes études sur les Nations unies, et à quelques semaines de l’élection présidentielle au Gabon, il a accepté de me livrer son témoignage sur ce système de corruption généralisée, que le défunt Omar Bongo résumait avec componction : « Une chèvre broute là où elle est attachée.« 

« M. le Président, pour commencer cet entretien, je souhaiterais vous demander ce qui vous a amené en Afrique, et plus particulièrement au Gabon.

–        Il a fallu, en 1991, remplacer un auditeur au Gabon. J’ai donc pris sa suite. Il s’agissait de contrôler, pour le compte de différentes organisations internationales, la gestion des grandes entreprises gabonaises destinées à être privatisées. Basé à Libreville, je suis également intervenu dans le même cadre ailleurs en Afrique : au Bénin, au Congo-Brazzaville auprès du président Denis Sassou Nguesso, en République Démocratique du Congo auprès du Président Kabila, notamment.

–        Vous avez donc été en contact avec le Président gabonais Omar Bongo.

–        Absolument. Mes bureaux se situaient à la présidence. Je l’ai rencontré personnellement pour la première fois après mon audit des chemins de fer. Nous avions calculé que les fausses factures concernant l’achat de rails auraient permis de faire le tour de la Terre ! A l’évidence, le directeur, un proche de Bongo, avait pris dans la caisse… Un bandit ? Non, c’est simplement un système. Un haut fonctionnaire qui détourne de l’argent fait par ailleurs construire un dispensaire, une école, pour son village ou son ethnie. Le contexte est bien sûr particulier, mais il n’empêche que 150 personnes vont en bénéficier… C’est ce que j’ai dit au général commandant les services de renseignement gabonais, mon contact à la présidence. Il m’a alors amené le répéter à Bongo. A la fin, le Président m’a regardé et m’a dit « Toi, tu me plais…« . A partir de là, je suis en quelque sorte devenu « son Blanc« .

–        Cette simple anecdote des rails de chemins de fer laisse entendre que la corruption est institutionnalisée…

–        Là-bas, la corruption est une véritable économie. Un système encouragé non seulement par les dirigeants, mais également par toutes les puissances présentes en Afrique, qui monnaient leurs intérêts. J’ai vu tellement d’étrangers défiler dans le bureau de Bongo, que je lui ai demandé un jour en riant pourquoi moi aussi, je n’avais pas droit à ma valise pleine de billets de banque. Sur le même registre, le Président m’a naturellement répondu : « Parce que tu viens sans valise vide !« …

–        N’y a-t-il pas là une forme d’hypocrisie des puissances étrangères, qui d’un côté se livrent à de telles pratiques, et de l’autre disent encourager le développement en Afrique ?

–        J’avais l’habitude de commencer mes cours à Sciences-Po par cette phrase provocante : « Le développement est l’épitaphe du tombeau africain« . Tout le monde sait très bien que les dons destinés au développement sont significativement détournés. Et parfois de façon détestable : j’ai ainsi découvert qu’au Bénin, tandis que des bénévoles se dévouent corps et âme, la moitié de l’aide destinée aux malades du Sida est dévoyée ! Mais tout le monde ferme les yeux pour protéger ses intérêts propres…

–        Il semble cependant aujourd’hui que les Français ne soient plus en odeur de sainteté au Gabon.

–        C’est indéniable. Les Gabonais en veulent aux Français de pointer aujourd’hui le doigt sur les malversations de Bongo, avec l’affaire des « biens mal acquis », alors que ce sont eux qui ont importé la corruption au Gabon. Les jeunes générations africaines n’oublient pas que la corruption a été enseignée par les Blancs. Elles exècrent ce système, qui les a menées à la misère et au sous-développement, et en tiennent les ex-puissances coloniales, France en tête, pour responsables. Au Gabon, on veut tout simplement chasser les Français hors du pays.

–        Pour autant, il faut croire que l’élève a dépassé le maître…

–        Bien sûr : les circonstances ont été favorables, avec des institutions fragiles et des malversations encouragées depuis l’extérieur. Au Gabon, du gardien de la présidence aux plus proches conseillers du Président, tout le monde se laisse gagner par le système. Tout se monnaie. Un jour, j’ai constaté que la paye des employés d’une entreprise publique avait disparu. Réponse désarmante : « Un marabout l’a prise en promettant de ramener le double demain.« 

–        Et le Président ?

–        Le Président Bongo était particulièrement tolérant par rapport à ces pratiques. Lui non plus n’était pas en reste, d’ailleurs. Une fois, par exemple, il m’a fait convoquer en pleine nuit pour avoir écrit, dans mon rapport d’audit des Postes, qu’il manquait 30 millions de francs CFA, dont je pensais qu’ils avaient servi à financer la campagne présidentielle. A la fin de la conversation, le Président m’a tout naturellement avoué : « En fait, j’en avais pris 40 millions… Mais quelqu’un m’en a volé 10. Je veux que tu retrouves de qui il s’agit. » C’est le système…

–        Et n’aviez-vous aucun moyen de lutter contre ces pratiques ?

–        Nous nous y attachions. Mais on ne peut éradiquer un tel système. Trop d’intérêts s’y croisent. Après avoir obtenu le limogeage d’un agent comptable des Telecom qui volait dans la caisse, j’ai eu l’immense surprise de le voir me remercier, quelques semaines plus tard… Au lieu d’être limogé, il avait en fait été promu au rang d’Inspecteur Général des Finances : clairement, quelqu’un le couvrait pour qu’il tienne sa langue.

–        D’autant que mettre à jour des malversations ne devait pas être sans risque ?

–        C’est vrai. A la fin de mon séjour au Gabon, j’ai découvert un détournement impliquant le neveu du Ministre de l’Intérieur. J’ai ensuite été invité à une promenade en bateau. Comme par hasard, ma pirogue a chaviré, et j’ai clairement senti des mains m’attirer vers le fond du lac infesté de crocodiles. Un avertissement sans frais…

–        A vous entendre, on se demande quel rôle efficace peut jouer la communauté internationale en Afrique. Si tous les dons doivent subir de tels sorts…

–        Il faut être lucide. L’action des ONG sur le sol africain est souvent l’expression de la décision des Etats donateurs. C’est cette situation qui a brouillé les cartes au Soudan, et suscité la violente réaction du régime de Khartoum et l’exclusion d’ONG, après le mandat d’arrêt lancé par la Cour Pénale Internationale à l’encontre du Président Béchir. L’action de terrain est bridée par la politik business

–        Certains cherchent des solutions pour s’affranchir de cette situation. Que pensez-vous de la proposition d’organiser une loterie au profit de l’Afrique ?

–        Il faut se méfier des fausses bonnes idées. En l’espèce, c’est une ineptie qui ne fera qu’entretenir la corruption et l’aide n’arrivera jamais au peuple.

–        Comment, alors, orienter les efforts de la communauté internationale dans le bon sens ?

–        Je crois que les Nations unies ont réellement leur carte à jouer en Afrique, à condition de véritablement prendre en compte les aspirations des peuples qu’elles souhaitent aider. Il s’agit d’évoluer au rythme des populations, et non de la bureaucratie internationale. Il convient d’alléger les Nations unies du poids lourd diplomatique pour aller à l’essentiel : mettre en valeur le Conseil Economique et Social des Nations unies (ECOSOC), et s’appuyer sur les Organisations Non Gouvernementales, qui connaissent bien le terrain et ses réalités. Il faudrait notamment mieux coordonner, labelliser et contrôler les ONG. J’ose croire que cette évolution positive sera encouragée par des personnalités comme Barack Obama ou Nicolas Sarkozy, jeunes chefs d’Etat dynamiques, conscients que, si les Nations unies ne parviennent pas à relever ce défi de l’action en faveur du développement, qui est une de leurs prérogatives fondamentales, elles pourraient décliner puis tout simplement mourir.

–        Pour finir, aujourd’hui, à quelques semaines des élections présidentielles au Gabon, quels sont selon vous les enjeux du scrutin ?

–        La situation du pays aujourd’hui est délicate : la misère et le sous-développement sont criants, en dépit de vastes ressources pétrolières qui ont seulement profité à l’entourage présidentiel. Le renouveau du pays ne pourra se faire qu’après avoir liquidé tous les réseaux sulfureux qui gravitent autour du pouvoir… Vieux barbouzes, pseudo agents de renseignement, ex-policiers qui minent le pays, rongent l’économie et masquent la vérité aux décideurs. Si Omar Bongo avait un statut particulier, une sorte de père, de patriarche pour le peuple, les Gabonais sont éreintés après ses 41 années de règne. Ils veulent se débarrasser du clan Bongo et refusent l’idée d’une dynastie. Je crains fort que si Ali Ben Bongo, le fils, actuel Ministre de la Défense, est élu, le pays ne s’embrase.

–        Quel rôle doit jouer la France dans cette élection ?

–        Aucun. Absolument aucun. Tenue pour responsable des errements antérieurs, la France serait bien inspirée de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures du Gabon et de ne pas intervenir dans la désignation du prochain Président. Souvenons-nous que Nicolas Sarkozy a été sifflé lors des obsèques de Bongo. Souvenons-nous des émeutes antifrançaises en Afrique francophone, ces dernières années : en Côte d’Ivoire en 2003-2004, au Gabon déjà en 1993… Le Président Sarkozy l’a d’ailleurs compris. Il faut saluer et soutenir son attitude novatrice, sa volonté d’amorcer un virage dans nos relations avec l’Afrique et de rompre avec les vieilles habitudes de la Françafrique : les jeunes générations africaines veulent prendre leur destin en main. »

Propos recueillis le 28 juillet 2009.

LC.

Voir sur le même thème : L’après-Bongo : les messieurs Afrique ont la vie dure