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Révolution du Limon ?

L’Egypte connaît depuis quelques jours une vague de protestations sans précédent : des dizaines de milliers de personnes ont défilé cette semaine dans les rues du Caire, d’Alexandrie et de Suez, pour réclamer le départ du Président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis l’assassinat d’Anouar el-Sadate (dont il était le vice-président) au cours de la parade militaire du 6 octobre 1981.

Epuisés par les vingt-neuf ans de règne sans partage du raïs, la population, portée par le mouvement initié en Tunisie, exige des réformes démocratiques et plus de libertés individuelles… Des aspirations qui ont donné lieu à de violents affrontements avec les forces de l’ordre, coûtant la vie à plus de quatre-vingt-dix personnes.

Face à la précipitation des événements, après avoir appelé l’armée en renfort et imposé le couvre-feu pour réprimer la mobilisation, après avoir tout simplement verrouillé l’accès au réseau Internet (une première à l’échelle nationale, dans la jeune histoire du web) et maintenant à la chaîne de télévision qatari Al-Jazira, Moubarak a limogé son gouvernement (y compris des ministres en poste depuis plus de 10 ans) et promis des avancées démocratiques.

La réorganisation du pouvoir qu’il a entreprise ce samedi témoigne cependant du repli du régime sur sa base militaro-sécuritaire. Le nouveau Premier Ministre, Ahmed Chafik, était jusque là Ministre de l’Aviation et pour la première fois en trente ans, Moubarak a consenti à nommer un vice-président – poste qu’il laissait jusque là délibérément vacant pour prévenir l’ascension d’un dauphin institutionnel – en la personne de son fidèle chef des renseignements, Omar Souleiman.

Ces signes d’apaisement sont toutefois restés sans effet : la situation reste confuse et chaotique au Caire, où les manifestants bravent un couvre-feu que l’armée ne parvient pas à faire respecter, tandis que l’opposition accroît sa pression sur le régime…

Conséquence de la contagion tunisienne, le mouvement pourra-t-il mener à une issue aussi bouleversante qu’à Tunis, où la rue est parvenue, le 14 janvier dernier, à renverser le régime benaliste ?

Certes, les similitudes sont frappantes. Un régime usé par plusieurs décennies aux affaires et coupé des réalités. Un pouvoir sans légitimité institutionnelle, clanique, népotique et prédateur, quand la Constitution se veut républicaine.

La nomination du fidèle Omar Souleiman au poste enfin pourvu de vice-président, est d’ailleurs un signe de la fragilisation du raïs, qui, même s’il abandonne ainsi le rêve de voir son fils Gamal lui succéder, s’assure si besoin une sortie en douceur, acceptée par l’armée, et ne remettant pas en cause la continuité du régime.

L’exemple tunisien, avec l’éviction forcée des proches du président déchu du gouvernement de transition, prouve cependant qu’en cas de retrait contraint du raïs, il sera extrêmement difficile à son ancien chef des renseignements, figure de l’appareil d’Etat, de se maintenir.

On peut enfin même retrouver dans le discours prononcé à la télévision, ce vendredi soir, par Hosni Moubarak, les accents chancelants d’un Zine El-Abidine Ben Ali annonçant lui aussi un remaniement gouvernemental, à la veille de sa fuite vers Djeddah, en Arabie Saoudite.

Soit. Mais l’Egypte n’est pas la Tunisie.

Puissance régionale, assurant l’exploitation du Canal de Suez, elle est d’abord une plaque tournante du commerce international et un acteur économique à ne pas négliger.

Ensuite et surtout, Hosni Moubarak est un allié précieux pour les Etats-Unis. Voisin d’Israël avec lequel il entretient des relations pacifiques, il se pose en rempart décisif contre les Frères Musulmans, qui pourraient bien profiter du chaos suivant l’effondrement du régime pour s’emparer du pouvoir et transformer le pays en bastion islamiste, hostile à l’Occident et à Israël, déstabilisant ainsi le déjà fragile équilibre au Proche-Orient.

La Confrérie s’est d’ailleurs montrée résolument discrète depuis le début des événements, pour ne pas nuire à l’effet de la mobilisation sur la communauté internationale. Mieux encore, les Frères Musulmans se sont rangés sous la bannière de Mohammed ElBaradei, opposant historique, diplomate bien connu à l’étranger pour avoir été, pendant douze ans, Directeur de Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA). A ce titre, il avait d’ailleurs nié la présence d’armes de destruction massive en Irak et s’était opposé à l’intervention voulue par George W. Bush, devenant ainsi le héros de la rue arabe…

Mais les Etats-Unis seront-ils prêts à assumer le risque que représenteraient pour l’équilibre régional les Frères Musulmans, même chapeautés par ElBaradei ? Dans leur conquête du pouvoir, les mouvances intégristes avancent souvent masquées derrière la figure d’un leader modéré, installé par une révolution avant d’être à son tour renversé : ainsi de la révolution iranienne de 1979 qui, après avoir emporté le shah, consacra finalement les ayatollahs à Téhéran ; ainsi plus récemment du Liban, où le régime modéré de Saad Hariri, porté par le retrait des troupes syriennes en 2005, vient d’être déposé par le Hezbollah…

Reste enfin un facteur essentiel qui tient, en interne, à la solidité de l’appareil d’Etat. Le régime benaliste s’est effondré comme un château de cartes dès lors que l’armée du général Rashid Amman a refusé d’obéir aux ordres présidentiels et n’a plus tiré sur la foule… Comme dans toute révolution, c’est donc bien l’armée qui a joué un rôle déterminant et poussé Ben Ali vers l’exil – une armée que le Président tunisien s’était précisément efforcé de sous-payer et de sous-équiper par crainte d’un putsch…

La situation de l’armée égyptienne n’a quant à elle rien à voir. D’abord, elle respecte Hosni Moubarak qui, issu de ses rangs, est un héros de la guerre du Kippour, Maréchal de l’Armée de l’Air.

Ensuite elle tire de nombreux bénéfices de sa fidélité au régime, qui prend soin de lui verser des soldes satisfaisantes et lui a permis de contrôler de larges pans de l’économie…

Il y a donc des raisons de penser que les généraux seront soucieux de préserver et défendre un régime avec lequel ils sont liés institutionnellement et organiquement.

Reste que l’incertitude pèse sur l’attitude des officiers intermédiaires… Ici comme ailleurs, la vague de protestations qui déferle actuellement sur les rives de la Méditerranée sera encore émaillée de nombreuses surprises…

Mais ne nous enflammons pas : oui, définitivement, Francis Fukuyama, avec sa « fin de l’Histoire », avait tort, mais pour autant, rien n’est moins présomptueux que d’annoncer « un printemps arabe ». Si le concept séduit la bien-pensance occidentale, il oublie totalement de considérer le « monde arabe » dans toute l’ampleur de sa diversité.

Dans les monarchies du Golfe, l’exercice du pouvoir revêt une légitimité constitutionnelle : les rois et les émirs y sont donc respectés par leur population, malgré de nombreuses revendications.

En Algérie, s’il est dans une position inconfortable, Abdelaziz Bouteflika ne gouverne pas en s’appuyant sur un clan familial, mais sur l’armée, fondatrice et traditionnel garant des institutions.

A y bien regarder donc, outre l’Egypte, seule la Libye présente une situation vraiment comparable à la Tunisie : à Tripoli, le fantasque colonel Mouammar Kadhafi règne en despote népotique sur une population miséreuse, depuis le coup d’Etat militaire qu’il dirigea le 1er septembre 1969 !…

Autant d’éléments variés et contradictoires qui compliquent la prise de position des diplomaties occidentales, contraintes à la prudence car partagées entre considérations éthiques et realpolitik.

Washington ne va cependant plus pouvoir bien longtemps accepter, au cœur d’une zone si stratégique et explosive, une Egypte à la dérive et, s’il ne parvient pas à reprendre rapidement la main pour impulser une transition vers une ouverture du régime, Moubarak devra s’effacer : la crue égyptienne aura débouché sur une « révolution du limon »…

JA

Jasmin tunisien

La rue a donc eu raison de lui… Après un mois d’émeutes sans précédent, le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a donc quitté la Tunisie et renoncé au fauteuil qu’il détenait sans partage depuis le “coup d’Etat médical” du 7 novembre 1987, date à laquelle, Premier Ministre, il déposa pour sénilité son prédécesseur Habib Bourguiba, père de l’indépendance et fondateur de la République…

D’une main de fer, ce diplômé de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr met alors en place un régime autoritaire, censurant les médias et étouffant toute forme de contestation : il bénéficie dans ses efforts de la complaisance des chancelleries occidentales, qui voient plutôt en lui un rempart contre l’islamisme et l’artisan d’un développement économique propice aux investissements étrangers…

En août 2008, devant un parterre de patrons français réunis pour l’Université d’été du MEDEF, le fidèle Premier Ministre Mohamed Ghannouchi était d’ailleurs venu à l’Ecole Polytechnique vanter les retombées de la politique économique du Président Ben Ali : il y soulignait une croissance annuelle voisine de 5%, une classe moyenne en pleine expansion, une compétitivité en amélioration continue et une société ouverte et tolérante, promouvant la liberté de la femme. Autant d’opportunités d’affaires, donc, « dans le cadre du partenariat privilégié entre la France et la Tunisie »… On comprend mieux, dès lors, la position pour le moins mesurée observée par Paris ces dernières semaines…

Cependant, la crise a creusé les inégalités et cristallisé l’exaspération populaire à l’encontre d’un système policier qui, sous couvert de sa réussite économique, s’est permis d’entraver les libertés publiques.

 

Ben Ali visite le marchand de légumes Mouhamed Bouazizi, 28.12.2010

Le 17 décembre, à Sidi Bouzid, un marchand de fruits et légumes s’immole par le feu pour protester contre la confiscation de ses marchandises : la spirale révolutionnaire est enclenchée… Le 18 décembre, les habitants de Sidi Bouzid se soulèvent contre le chômage et la vie chère : de violents affrontements les opposent aux forces de l’ordre et la contagion gagne peu à peu l’ensemble du pays…

Si les vœux présidentiels se veulent apaisants, la situation s’emballe avec le décès, le 1er janvier d’un homme blessé par balles au cours des affrontements de la semaine précédente, suivi le 5 janvier par la mort du marchand de légumes de Sidi Bouzid, emporté par ses brûlures…

Tandis que le mouvement reçoit le soutien de l’Union générale des travailleurs tunisiens, unique centrale syndicale du pays, les forces de l’ordre tirent à balles réelles pour contenir la foule des manifestants, exacerbant la rancœur populaire…

Mardi, alors que les violences ont déjà fait entre 20 et 50 morts, la contestation gagne Tunis : l’armée est déployée dans les rues de la capitale et un couvre-feu drastique imposé. Les premières failles aparaissent au sommet de l’Etat avec le limogeage du Ministre de l’Intérieur Rafik Haj Kacem et du général Rachid Ammar, chef d’Etat-major de l’armée de terre…

Jeudi, c’est un président très fragilisé qui intervient une dernière fois à la télévision pour tenter d’apaiser la situation. Mais ses annonces sont vaines : le bilan humain s’alourdit dans la nuit, les biens de la famille de la Première Dame, Leila Trabelsi, sont ciblés, et 5000 personnes défilent vendredi dans le centre de la capitale…

Dans une ultime tentative pour reprendre le contrôle, Ben Ali limoge son gouvernement, avant de se résoudre à accéder à la principale revendication populaire en quittant précipitamment le pays pour l’Arabie Saoudite…

L’intérim est donc désormais assuré par le président du Parlement, Fouad Mebazaâ, apparatchik de 78 ans qui a collectionné les portefeuilles ministériels et les responsabilités politiques, sous Bourguiba puis Ben Ali. Il a chargé Mohamed Ghannouchi de former un gouvernement d’union nationale : celui-là même qui, il y a trente mois, chantait la Tunisie comme un havre de paix et de prosperité doit aujourd’hui y rétablir l’ordre et mettre fin au délitement social…

La confusion constitutionnelle qui a régné entre vendredi et samedi autour de cette transition tient à son contexte explosif… Nul doute que des tractations tendues ont agité le sommet de l’Etat. Au final, les militaires ont pesé pour appuyer ces personnalités issues du système, afin d’éviter le chaos politique que laissait craindre l’effondrement d’un régime verrouillé pendant vingt-trois ans, tandis que les forces d’opposition se satisfont de la reconduction de Ghannouchi, économiste consensuel et intègre, homme de dialogue et fin manoeuvrier…

La tâche du nouveau couple exécutif tunisien n’en sera pas moins ardue. Avec le succès de l’insurrection, la rue a pris la mesure de sa puissance : elle n’acceptera plus d’en être réduite à la soumission et à la docilité. Héritiers d’un régime qui l’a muselée pendant un quart de siècle, Mebazaâ et Ghannouchi vont désormais devoir composer avec elle, ce qui suppose de revoir tout le système tunisien…

En tout état de cause, la « Révolution du jasmin » vient de prouver que les systèmes les plus verrouillés du monde arabe peuvent vaciller, et tomber en quelques jours sous la pression d’un soulèvement spontané. Sera-t-elle contagieuse ? Tandis que dans les pays arabes, l’opinion publique s’est passionnée pour les événements tunisiens, suivis en direct via Facebook et Twitter, certains chefs d’Etat aux tendances autocratiques, l’égyptien Hosni Moubarak au pouvoir depuis l’assassinat du Président Sadate en 1981, et le voisin algérien Abdelaziz Bouteflika en tête, doivent observer la situation avec anxiété, hantés par cette crainte lancinante d’un effet domino : l’exemple tunisien fera-t-il des émules ?

Depuis la Californie, j’adresse à tous les lecteurs, qui ont permis à ces pages de franchir le cap des 40 000 visites, mes meilleurs voeux pour 2011.

JA.

Faire parler l’Histoire à tort et à travers

(g. à d.) Pierre Lellouche, Viviane Reding, Eric Besson

Billet d’humeur, en cette fin d’un mois de septembre qui a vu la bêtise le disputer à l’inacceptable, autour de la question des Roms.

Libre à chacun d’avoir son opinion sur les mesures d’expulsion prises par le gouvernement français.

Bien sûr, il est particulièrement périlleux de stigmatiser un groupe ethnique, et la circulaire du 5 août, ciblant une catégorie de populations au titre de leurs origines, devait être retirée.

Pour autant, il n’en reste pas moins inacceptable d’entendre des responsables politiques et associatifs, et jusqu’à la Commissaire européenne à la Justice et aux Droits fondamentaux, entreprendre un comparatif douteux, et disons le tout net nauséabond, entre ces événements et la déportation des Juifs et des Tziganes au cours de la Seconde Guerre Mondiale !

Que n’a-t-on pu lire comme aberrations ?

Certains, bien trop prompts et sans mesure, n’ont pas hésité à se draper des oripeaux de la Résistance pour mieux défendre les valeurs de la République, face, nous disait-on, à une dérive pétainiste aux relents nazis !

On a même vu l’évêque de Toulouse relire en chaire  la lettre de son héroïque prédécesseur, Monseigneur Saliège, ce Juste parmi les Nations et Compagnon de la Libération, qui osa, au cœur de l’été 1942, braver la répression allemande en s’indignant des traitements infligés aux Juifs… Dans la foulée de ce détournement déplacé, La Dépêche du Midi n’hésitait pas à titrer : « Après les Juifs, les Roms… »

Comment manquer à ce point de discernement ? Comment oser un tel parallèle ?

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici d’établir une quelconque hiérarchie dans les persécutions ethniques… Il s’agit simplement de constater que les expulsions de Roms ne s’inscrivent en aucun cas dans une démarche d’extermination raciale.

Non, « l’aéroport de Roissy, ce n’est ni Beaune-la Rolande, ni Drancy », et la circulaire du 5 août est sans commune mesure avec la conférence de Wannsee, du 20 janvier 1942, initiatrice de la Solution Finale…

Non, renvoyés en avion dans leur pays d’origine, un pécule en poche, le sort des Roms n’a rien à voir avec le destin des victimes de la barbarie nazie, déportées en wagons à bestiaux vers les sinistres chambres à gaz d’Auschwitz, Treblinka ou Mauthausen…

Non, l’administration française n’a à ce jour pas détourné une partie de ses ressources pour bâtir, et administrer, des camps de la mort destinés à éradiquer la population rom…

Il convient donc de faire preuve de mesure autant que de décence.

Le devoir de mémoire, si précieux, ne doit pas mener au déni de réalité. Le passé, s’il doit servir de guide pour éclairer le présent, ne peut être invoqué avec cette désinvolture coupable. Procéder ainsi procède d’une double erreur, lourde de conséquences.

D’abord, on trahit un sentiment de culpabilité qui conduit à sur-réagir aux expulsions de Roms, pour mieux effacer certaines passivités des heures noires de la Seconde Guerre Mondiale. Défendre la population rom pour mieux expier l’expérience collaborationniste.

C’est se tromper de combat. C’est faire preuve d’une totale incompréhension du monde actuel et de ses différences avec le contexte des années 1940. En s’engageant sur ce chemin glissant, on se détourne d’une analyse lucide de la situation, pourtant indispensable pour en appréhender les racines profondes et tâcher d’y trouver des solutions adaptées.

Pis encore, de cette façon, on s’éloigne du véritable débat, pour s’enliser dans une polémique, aussi légitime qu’évitable.

Le passé est trop précieux pour être ainsi instrumentalisé. Le présent est trop complexe pour être ainsi simplifié.

Immortelle

A 82 ans, Simon Veil a été reçue, le 19 mars dernier, à l’Académie Française. Sixième femme accueillie sous la Coupole du Quai Conti, elle y occupera le 13ème fauteuil, qui fut aussi celui de Racine. Icône auréolée d’une immense popularité, symbole des horreurs et des grandeurs de notre temps, Simon Veil aura été de tous les grands combats, de tous les nobles engagements du XXème siècle.

Déportée vers Auschwitz-Birkenau à l’âge de 17 ans, elle y perd sa mère. Rentrée en France, elle mène une carrière de magistrate avant de s’engager en politique aux côtés de Valery Giscard d’Estaing. Ministre de la santé du gouvernement Chirac, elle parvient à faire légaliser l’interruption volontaire de grossesse. Fervente militante de la construction européenne, elle devient en 1979 la première présidente du Parlement européen élu au suffrage universel. Elle sera également membre du Conseil Constitutionnel  de 1998 à 2007.

Voici les grands extraits du discours d’accueil que lui a réservé Jean d’Ormesson :

« De toutes les figures de notre époque, vous êtes l’une de celles que préfèrent les Français. Les seuls sentiments que vous pouvez inspirer et à eux et à nous sont l’admiration et l’affection. Je voudrais essayer de montrer pourquoi et comment vous incarnez avec plus d’éclat que personne les temps où nous avons vécu, où le Mal s’est déchaîné comme peut-être jamais tout au long de l’histoire et où quelques-uns, comme vous, ont lutté contre lui avec détermination et courage et illustré les principes, qui ne nous sont pas tout à fait étrangers, de liberté, d’égalité et de fraternité. »

Sur la déportation :

« Le 3 septembre 1939, la guerre éclatait. Le 10 mai 40, l’offensive allemande se déclenchait. [..] Le 3 octobre 40, le premier statut des Juifs était édicté par Vichy. […] Le crime se mettait en place.

Le 29 mars 1944, vous passez à Nice les épreuves du baccalauréat, avancées de trois mois par crainte d’un débarquement allié dans le Sud de la France. Le lendemain, 30 mars, en deux endroits différents, par un effroyable concours de circonstances, votre mère, votre sœur Milou, votre frère Jean et vous-même êtes arrêtés par les Allemands.

Huit jours plus tard, vous arrivez à Drancy où les conditions matérielles et morales sont déjà très dures. Vous ne savez plus rien de votre père ni de votre sœur Denise. Vous êtes très vite séparées de votre frère. Une semaine encore – le calendrier se déroule impitoyablement – et le 13 avril, à cinq heures du matin, en gare de Bobigny, vous montez avec votre mère et votre sœur dans un convoi de wagons à bestiaux en direction de l’Est. Le voyage dure trois jours – du 13 avril à l’aube au 15 avril au soir. Le 15 avril 1944, en pleine nuit, sous les cris des SS, les aboiements des chiens, les projecteurs aveuglants, vous débarquez sur la rampe d’accès du camp d’Auschwitz-Birkenau. Vous entrez en enfer. Vous avez seize ans, de longs cheveux noirs, des yeux verts et vous êtes belle.

Des déportés vous attendent sur la rampe de débarquement. Ils vous crient en français : « Laissez vos bagages dans les wagons, mettez-vous en file, avancez. » Tout à coup, une voix inconnue vous murmure à l’oreille :
– Quel âge as-tu ?
Vous répondez :
– Seize ans.
Un silence. Puis, tout bas et très vite :
– Dis que tu en as dix-huit.

La voix inconnue vous a sauvé la vie. Des enfants et des femmes âgées ou malades sont empilés dans des camions que vous n’avez jamais revus. […]

La nuit même de votre arrivée au camp, les kapos vous font mettre en rang et un numéro indélébile vous est tatoué sur le bras. Il remplace l’identité que vous avez perdue, chaque femme étant enregistrée sous son seul numéro avec, pour tout le monde, le prénom de Sarah. Vous êtes le n° 78651. Vous appartenez désormais, avec des millions d’autres, au monde anonyme des déportés. Et, à l’âge où les filles commencent à se détourner de leurs jeux d’enfant pour rêver de robes et de romances au clair de lune, vous êtes l’image même de l’innocence : votre crime est d’être née dans la famille honorable et très digne qui était la vôtre.

Dans l’abîme où vous êtes tombée, dans ce cauchemar devenu réalité, il faut s’obstiner à survivre. Survivre, à Auschwitz, comme à Mauthausen, à Treblinka, à Bergen-Belsen, est une tâche presque impossible. […]

Nous sommes en janvier 45. L’avance des troupes soviétiques fait que votre groupe est envoyé à Dora, commando de Buchenwald. Le voyage est effroyable : le froid et le manque de nourriture tuent beaucoup d’entre vous. Vous ne restez que deux jours à Dora. On vous expédie à Bergen-Belsen. Votre mère, épuisée, y meurt du typhus le 13 mars. Un mois plus tard, les troupes anglaises entrent à Bergen-Belsen et vous libèrent. […]

Plus d’un mois après la libération de Bergen-Belsen, vous arrivez enfin à l’hôtel Lutetia. Vous apprenez alors seulement le sort de votre sœur Denise, dont vous n’aviez aucune nouvelle depuis Drancy. Déportée à Ravensbrück, puis à Mauthausen, elle vient de rentrer en France. Le sort de votre père et de votre frère, vous ne le saurez que bien plus tard : déportés dans les pays Baltes, ils ont disparu à jamais entre Kaunas et Tallin..

La déportation n’est pas seulement une épreuve physique ; c’est la plus cruelle des épreuves morales. Revivre après être passé par le royaume de l’abjection est presque au-dessus des forces humaines. […]

À plusieurs reprises, dans des bouches modestes ou dans des bouches augustes, j’ai entendu parler de votre caractère. C’était toujours dit avec respect, avec affection, mais avec une certaine conviction : il paraît, Madame, que vous avez un caractère difficile. Difficile ! Je pense bien. On ne sort pas de la Shoah avec le sourire aux lèvres. Avec votre teint de lys, vos longs cheveux, vos yeux verts qui viraient déjà parfois au noir, vous étiez une jeune fille, non seulement très belle, mais très douce et peut-être plutôt rêveuse. Une armée de bourreaux, les crimes du national-socialisme et deux mille cinq cents survivants sur soixante-seize-mille Juifs français déportés vous ont contrainte à vous durcir pour essayer de sauver votre mère et votre sœur, pour ne pas périr vous-même. »

Sur l’IVG :

« Un soir, à un dîner chez des amis, où se fait sentir une certaine ironie à l’égard de l’improbable journalisme féminin et de ses vaticinations, le téléphone sonne. La maîtresse de maison vous fait un signe : c’est pour vous. Au bout du fil, Jacques Chirac qui vient d’être désigné comme Premier ministre par Giscard. Il vous offre d’entrer dans son gouvernement que le président Giscard d’Estaing, en novateur, souhaite aussi large que possible. Vous n’hésitez pas longtemps. Vous devenez ministre de la Santé. […].

C’est Michel Poniatowski qui vous parle le premier d’un problème urgent et grave : l’avortement clandestin. […]  C’est vous que le président de la République et le Premier ministre vont charger de ce dossier écrasant.[…]

« Comment vous, vous disait-on, avec votre passé, avec ce que vous avez connu, pouvez-vous assumer ce rôle ? » Le mot de génocide était parfois prononcé. Ce sont pour vous de grands moments d’émotion et d’épuisement. Beaucoup d’entre nous, aujourd’hui et ici, se souviennent encore de ce spectacle où la grandeur se mêlait à la sauvagerie. Je vous revois, Madame, faisant front contre l’adversité avec ce courage et cette résolution qui sont votre marque propre. Les attaques sont violentes. À certains moments, le découragement s’empare de vous. Mais vous vous reprenez toujours. Vous êtes une espèce d’Antigone qui aurait triomphé de Créon. Votre projet finit par être adopté à l’Assemblée nationale par une majorité plus large que prévu : deux cent quatre-vingt-quatre voix contre cent quatre-vingt-neuf. La totalité des voix de gauche et – c’était une chance pour le gouvernement – une courte majorité des voix de droite. […]

C’était une victoire historique. Elle inscrit à jamais votre nom au tableau d’honneur de la lutte, si ardente dans le monde contemporain, pour la dignité de la femme. »

« Au terme de ces instants trop brefs et déjà trop longs que j’ai eu la chance et le bonheur de passer avec vous, je m’interroge sur les sentiments que vous portent les Français. Vous avez été abreuvée d’insultes par une minorité, et une large majorité voue une sorte de culte à l’icône que vous êtes devenue.

La première réponse à la question posée par une popularité si constante et si exceptionnelle est liée à votre attitude face au malheur. Vous avez dominé ce malheur avec une fermeté d’âme exemplaire. Ce que vous êtes d’abord, c’est courageuse – et les Français aiment le courage.

La clé de votre popularité, il faut peut-être la chercher, en fin de compte, dans votre capacité à emporter l’adhésion des Français. Cette adhésion ne repose pas pour vous sur je ne sais quel consensus médiocre et boiteux entre les innombrables opinions qui ne cessent de diviser notre vieux pays. Elle repose sur des principes que vous affirmez, envers et contre tous, sans jamais hausser le ton, et qui finissent par convaincre. Disons-le sans affectation : au cœur de la vie politique, vous offrez une image républicaine et morale.

Il y a en vous comme un secret : vous êtes la tradition même et la modernité incarnée. Je vous regarde, Madame : vous me faites penser à ces grandes dames d’autrefois dont la dignité et l’allure imposaient le respect. Et puis, je considère votre parcours et je vous vois comme une de ces figures de proue en avance sur l’histoire.
Oui, il y a de l’énigme en vous : une énigme claire et lumineuse jusqu’à la transparence. Elle inspire à ceux qui ont confiance en vous des sentiments qui les étonnent eux-mêmes. Vous le savez bien : ici, sous cette Coupole, nous avons un faible pour les coups d’encensoir dont se méfiait Pierre Messmer. L’admiration est très répandue parmi ceux qui se traitent eux-mêmes d’immortels. Nous nous détestons parfois, mais nous nous admirons presque toujours. Nous passons notre temps à nous asperger d’éloges plus ou moins mérités : nous sommes une société d’admiration mutuelle, que Voltaire déjà dénonçait en son temps. Cette admiration, vous la suscitez, bien sûr, vous-même. Mais, dans votre cas, quelque chose d’autre s’y mêle : du respect, de l’affection, une sorte de fascination. »

LC.

Le texte intégral du discours d’accueil de Jean d’Ormesson

La vidéo intégrale du discours d’accueil de Jean d’Ormesson

27 janvier 1945

A 14h30 aujourd’hui, les sirènes d’Auschwitz-Birkenau ont de nouveau retenti pour célébrer, en présence de nombreuses personnalités dont le Président et le Premier Ministre polonais, le Premier Ministre israélien et les Ministres de l’Education de l’Union Européenne, le 65ème anniversaire de la libération du plus vaste et du plus meurtrier camp de concentration bâti par la barbarie nazie, sur ce sol marécageux de Pologne.

Lorsque les soldats soviétiques d’Ivan Martynouchkine franchissent les barbelés le 27 janvier 1945, ils ne reste plus que 7000 prisonniers malades, pour la plupart agonisants. Parmi eux, Primo Levi. Dix jours plus tôt, devant l’avancée de l’Armée Rouge, les SS ont évacué le camp, entraînant avec eux quelque 60000 déportés, dans une funeste Marche de la Mort, fatale pour beaucoup.

Erigé en mai 1940 près de la ville d’Oswiecim, renommée par les Allemands, le camp de concentration principal, Auschwitz I, essentiellement destiné aux prisonniers politiques et de guerre, sera bientôt complété, en 1942 par Auschwitz III – Monowitz, camp de travail pour les usines IG Farben, et, fin 1941, par Auschwitz II – Birkenau, le camp d’extermination, clef de voûte de la « solution finale ».

Dans cette sinistre enceinte de Birkenau, symbole du mal absolu que fut la Shoah, près de 900 000 personnes, dont 90% de Juifs, périront gazées dès leur débarquement des trains le long de la Judenrampe.

Au total, sur les 1,3 millions de déportés, ce sont quelque 1,1 million d’hommes, de femmes et d’enfants qui seront les victimes, gazées, fusillées, mortes de faim, de froid ou d’épuisement, d’Auschwitz-Birkenau.

Mais en cette Journée Internationale à la mémoire des victimes de la Shoah, il convient de dépasser ces statistiques, en elles-mêmes effroyables, pour mieux souligner que, derrière ces chiffres parfois déshumanisants, ce sont des milliers de visages, d’histoires personnelles, de destinées individuelles brisées. Citons ici le remarquable discours du Président Jacques Chirac, prononcé à l’occasion du 60ème anniversaire de la libération d’Auschwitz :

« Pour traduire la réalité de la déportation, vous avez choisi de montrer la tragédie au travers de destinées individuelles. Dans ce « block 20 », lieu du sinistre hôpital du camp, vous avez retenu des vies qui, pour être singulières, n’en sont que plus représentatives.

Avec la figure emblématique de Pierre Masse, voici que surgissent ces Juifs « fous de la République ». Lorrain, avocat, combattant de la Grande Guerre, parlementaire, ministre, il écrit avant de mourir gazé à son arrivée : « Je finirai en soldat de la France et du droit que j’ai toujours été « .

Avec Georgy Halpern, c’est le drame insupportable des enfants. Fuyant l’Autriche, ses parents croient trouver refuge en France. Dans la maison d’Izieu, il est arrêté. Georgy meurt gazé à son arrivée à Auschwitz le 18 avril 1944. Il a 9 ans. […]

Avec Charlotte Delbo et les femmes du convoi du 24 janvier 1943, ce sont les militantes et les patriotes. Elles entrent dans Auschwitz en chantant La Marseillaise… De ces 230 héroïnes, seules 49 survivront.

Enfin, Sarah et Hersch Beznos, avec leurs enfants et leurs petits-enfants : une famille décimée, parmi tant et tant d’autres. Il font partie du convoi n°49 du 2 mars 1943 où se trouvent plusieurs vieillards de plus de 90 ans… Leur destin, pour le seul fait d’être juifs, c’est l’extermination, la Shoah, ce crime absolu contre l’humanité. »

Il ne reste plus rien des autres camps d’extermination installés en Pologne : Belzec, Chelmno, Sobibor, Treblinka,  ont été détruits par les nazis qui, pour en effacer toute trace, les ont rasés avant, intolérable cynisme, d’y planter des arbres.

Auschwitz-Birkenau, lieu à la fois maudit et sacré, est donc le seul camp d’extermination à avoir été préservé tel quel : faute de temps, les SS n’ont pu qu’en détruire les chambres à gaz, sur ordre d’Himmler en novembre 1944. Mais les ruines des chambres à gaz II et III demeurent, chaotiques, comme le symbole de l’abîme inhumain qui s’est ouvert en ces murs.

En cela, Auschwitz-Birkenau abrite les traces tangibles et irréfutables de la démarche d’extermination systématique, scientifique et méthodique entreprise par le régime hitlérien.

« Celui qui ne se rappelle pas le passé est appelé à le revivre », disait George Santayana : face aux spectres bruns de l’intolérance et du négationnisme, que l’on voudrait à jamais révolus mais qui ne cessent de s’agiter, aujourd’hui encore avec la profanation du cimetière juif de Strasbourg, Auschwitz-Birkenau constitue donc un sanctuaire que l’Humanité se doit de préserver.

Le vol récent de la tristement célèbre inscription marquant l’entrée du camp « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre), comble de l’ironie nazie, n’est qu’un signal d’alarme de plus.

Avec la disparition des derniers survivants et de l’émotion du vécu, tandis que les nouvelles générations, sans lien direct avec les événements, devront bientôt reprendre seules le flambeau de la mémoire, le mal irréparable que recèlent le camp d’Auschwitz-Birkenau et ses baraques de bois balayées par le vent froid et hostile de Pologne, contribuera à entretenir le souvenir de cette folie criminelle qui « est venue mettre en question l’essence même de l’Humanité ».

Ce travail de mémoire est donc tout simplement incontournable. Pour honorer la mémoire de toutes les victimes de la barbarie nazie : « tel est le devoir des peuples qui refusent qu’à la trahison des valeurs de l’homme s’ajoute l’outrage de l’oubli. » Pour bâtir « une société où cette entreprise, monstrueuse et criminelle, sera simplement impensable ».

Perpétuer le souvenir, donc, pour comprendre le passé et mieux construire le présent.

« Zakhor ! Al Tichkah ! » *

LC.

* « Souviens-toi ! N’oublie jamais ! » – Jacques Chirac, dans son discours à Auschwitz le 27 janvier 2005.

Le discours intégral du Président Chirac, à l’occasion du 60ème anniversaire de la libération d’Auschwitz

Prince Ali

Ali Bongo investi Président de la République du Gabon, le 16 octobre 2009C’est fait. Après son élection controversée, le 30 août dernier, Ali Bongo Odimba a  été « sacré », vendredi 16 octobre, Président de la République du Gabon. Il prend ainsi la tête de ce petit Etat pétrolier d’Afrique centrale, à la suite de son père décédé au printemps dernier : Omar Bongo, sans doute le plus ancien et le plus trouble allié de la France en Afrique.

Continuité de la Françafrique, ses relations compromettantes, ses jeux de réseaux,  cette interdépendance occulte des politiques franco-africaines ? Le fils du « mollah Omar » a beau s’en récrier, plaidant pour « la rupture » et la « moralisation de la vie politique gabonaise », on est en droit d’en douter : ne sera-t-il pas tenté de reprendre cette coutume paternelle, qui consistait à éliminer les rivaux par la corruption, au point de philosopher : « L’opposition n’est pas chose permanente »? Après la volonté de rénovation des relations avec les anciennes colonies affichée par le candidat Nicolas Sarkozy, l’inflexion de la politique africaine de la France, marquée par le départ du rénovateur Bruno Joubert de la cellule Afrique de l’Elysée, marque bien un retour aux vieilles habitudes qui ont émaillé la Vème République.

FrançafriqueCes liens incestueux, cette ambiguïté qui fonde les relations entre la France et l’Afrique autour des intérêts stratégiques et économiques de l’Hexagone au détriment de la société africaine, Pierre Péan en brosse un tableau édifiant dans son ouvrage, Affaires Africaines. J’ai déjà pris, dans ces pages, mes distances avec ce journaliste controversé aux thèses parfois tendancieuses, et il convient donc d’analyser sa théorie avec circonspection. Force est de reconnaître, néanmoins, qu’elle fait écho à nombre de propos rapportés ailleurs…

Pris dans un tourbillon de barbouzes, de mercenaires et de sociétés écrans, on y découvre un Gabon où se constitue, au fil des ans, sous la houlette de Jacques Foccart, secrétaire d’Etat aux affaires africaines et malgaches du Général de Gaulle, un Clan prêt à tout pour préserver ses intérêts économiques et stratégiques. C’est ainsi que la rencontre à Libreville d’acteurs hors du commun, sur fond d’enjeux pétroliers, exacerbera dans ce petit pays d’Afrique, l’interpénétration des influences et la fluctuation des pôles de pouvoir. Toujours mu par les mêmes moteurs, la politique, l’argent et l’ambition, ce cocktail explosif liera indissociablement le destin du Gabon à notre Vème République.

Tout commence, donc, par cette volonté des hauts dirigeants français de garder l’Afrique francophone dans leur « domaine réservé ». Ainsi, ne craignant pas l’ingérence, le France intervient militairement en 1964 pour remettre au pouvoir le vieux Léon M’Ba, premier Président du Gabon, renversé quelques heures plus tôt par un coup d’Etat. Le sachant malade, Foccart lui cherche ensuite un successeur qui continue à préserver les intérêts de la France : son dévolu se porte sur Albert-Bernard Bongo, ancien employé des Postes et agent des services français, qui vient à Paris pour être littéralement « testé » par le Général, avant d’être élu Vice-Président en 1967, dans des conditions rocambolesques qui voient le Président M’Ba, agonisant à Paris, prêter serment à l’ambassade du Gabon.

Jacques Foccart et Omar BongoLorsqu’il accède à la magistrature suprême, à la mort de M’Ba en novembre 1967, celui qui deviendra Omar Bongo à sa conversion à l’islam a 32 ans et n’est que la « marionnette de la France ». Il ne doit sa place qu’à la « galaxie Foccart », ces réseaux d’intérêts français savamment organisés autour de lui, où l’on croise des membres des services (le SDECE, ancêtre de la DGSE), du Service d’Action Civile (SAC), des anciens de l’OAS, des Bérets Verts, et les pétroliers d’Elf. Le colonel Maurice Robert, ancien du SDECE, passé à Elf-Gabon avant de devenir ambassadeur de France à Libreville incarne ce mélange des genres.

Ce « Clan des Gabonais » constitue une véritable toile d’araignée aux ramifications tellement puissantes que, lorsque Foccart quitte l’Elysée avec l’arrivée au pouvoir de Valery Giscard d’Estaing, il survit parfaitement et parvient à poursuivre ses « coups » en marge des circuits officiels dont il s’affranchit. Les membres du Clan sont tous liés par un intérêt commun : la sauvegarde du régime. D’un côté, Bongo tient sa légitimité et sa sécurité du Clan : les militaires français et la Garde Présidentielle, truffée de coopérants hexagonaux, sont la clef de voûte et les seuls garants de son pouvoir. De l’autre, les réseaux Foccart sont sûrs de trouver en la personne du jeune président un allié fidèle qui fermera les yeux sur leurs malversations et leur diplomatie parallèle, pratiquées au nom d’une « certaine conception des intérêts de la France », qu’il défendra à coup sûr.

On n’est donc pas trop regardant sur les « services » que l’on rend au jeune maître de Libreville. Des mercenaires, à l’instar du truculent Bob Denard, sont chargés du « sale boulot » : on leur attribue nombre de coups tordus, depuis la tentative de coup d’Etat au Bénin voisin, jusqu’à l’assassinat d’opposants politiques ou d’un amant de la Première Dame…

Le colonel Bob Denard, mercenaire en Afrique (ici aux Comores en 1995)Le Président Bongo s’en accommode d’autant mieux qu’il y trouve son compte. Disposant de la clef des richesses gabonaises, il peut rapidement mettre en place un système, aux rouages huilés par la manne pétrolière, qui lui permet d’accaparer l’essentiel des ressources nationales. En offrant à Elf des marges substantielles, il crée des liens indissolubles entre le Gabon et le pétrolier français qui en devient, via la Provision pour Investissement Diversifié (PID), le principal promoteur industriel, en alimentant près de 60% du budget national. Ces poches de l’Etat, qui auraient une certaine tendance à se confondre avec celles de son Président, sans doute déjà remplies par d’avantageuses rétro-commissions… Dans son livre, Blanc comme nègre, Bongo récuse ce terme et lui préfère celui de « rémunérations » accordées par Elf-Gabon au titre de services rendus.

On le voit, les parrains français de ce Gabon indépendant ont réussi à le débarrasser des oripeaux de la démocratie et de l’éthique. Forts de leur emprise sur le Président Bongo, ils y ont mis en place un système pour défendre leurs intérêts économiques, stratégiques, militaires et énergétiques, qu’ils confondent volontiers avec ceux de la France et qu’appuient leurs puissants relais à Paris.

Pourtant, très vite, la marge de manœuvre de Bongo va s’accroître : il va prendre son autonomie pour devenir, à son tour, le véritable parrain du Clan… D’abord, force est de reconnaître qu’Omar Bongo a très vite su faire ses preuves sur le plan intérieur et s’imposer, aux yeux de la France comme du reste du monde, comme un facteur incontournable de stabilité et d’unité du Gabon. Fin connaisseur des tensions latentes dans le pays, en particulier ethniques, il sait composer avec celles-ci pour les inhiber et réduit l’opposition à force de corruption. En somme, en maintenant un système politique unipartite jusqu’en 1990, Bongo entend prévenir les dangers du multipartisme qui, dans le contexte de jeunes nations africaines encore à bâtir, constitue « un élement de désordre et de stagnation » et « cristallise les divisions » en favorisant notamment les replis ethniques. Ce faisant, il faut mettre à son crédit le climat globalement pacifique de ses 41 ans de règne, qui accroîtra sa crédibilité au plan international.

Ensuite et surtout, pour s’affranchir de la tutelle du Clan et en prendre à son tour la tête, Bongo dispose d’un atout de poids. De fait, à force d’observer les pratiques des réseaux Foccart, de subventionner les campagnes des différents partis politiques français, Bongo connaît bien des secrets. Comme ses matières premières, son silence et sa complicité ont un prix.

A ce stade, les jeux d’influence cessent d’être à sens unique. Fin connaisseur des chausse-trapes et des coups fourrés de la vie politique hexagonale, Bongo en devient un des acteurs incontournable et courtisé. Il aurait ainsi joué un rôle non négligeable dans l’affrontement entre Jacques Chirac et Valery Giscard d’Estaing. Jusqu’alors, la politique de Libreville se décidait en France. Désormais, le Président gabonais pèsera également sur les décisions de Paris, bénéficiant  en ce sens aussi bien du noyautage de l’appareil d’Etat français par le Clan que de ses réseaux maçonniques. C’est lui, par exemple, qui impose au Président Giscard d’Estaing la nomination de l’ambassadeur de France au Gabon, Maurice Robert, en 1979. On en vient à dire que la politique africaine de la France se dessine exclusivement entre la rue Nélaton, siège d’Elf, et Libreville…

Omar BOngo et François MitterrandAu final, ce sont donc de complexes canaux de renseignements et de diplomatie parallèles qui sont à l’œuvre et l’intrication des affaires gabonaises et de la politique française qui s’affirme. En dépit des volontés de vent nouveau, la realpolitik s’impose à Paris : la défense des intérêts de la France laisse les grands principes sur le bas-côté de la route. François Mitterrand lui-même devra abandonner ses a priori initiaux sur un Gabon, « repaire de barbouzes » infréquentable, car précisément, sur cette route tortueuse, note encore Omar Bongo avec componction, « l’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur, la France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant. »

Aujourd’hui, Jacques Foccart n’est plus, mais ses réseaux subsistent sous des formes diverses, et son héritier, l’ineffable avocat franco-libanais Robert Bourgi, a pris le relais. Fin connaisseur de l’Afrique et de ses dirigeants, il apparaît comme l’éminence grise, l’intermédiaire officieux de l’Elysée sur le continent noir. Quand les circuits officiels martelaient à l’envi, avant l’élection présidentielle du 30 août, qu’ « au Gabon, la France n’a pas de candidat », Bourgi prenait position – à titre personnel ! – en faveur d’Ali Bongo, « le meilleur défenseur des intérêts français dans tous les domaines ».

La preuve que la Françafrique, avec son cortège de réseaux d’intérêts et de canaux diplomatiques souterrains, a encore de belles heures devant elle…

LC.

Ecouter Robert Bourgi sur l’élection présidentielle gabonaise et la Françafrique

La corruption en Françafrique, par Pierre-Jean Gire

Omar BongoLa disparition du Président gabonais Omar Bongo, le 8 juin dernier, marque bien plus que la fin d’un règne sans partage de plus de 41 ans.

Placé à la tête du Gabon avec la bénédiction de Jacques Foccart, le très discret « Monsieur Afrique » du général de Gaulle, le dinosaure Omar Bongo résumait à lui seul un système, avec son cortège d’intérêts croisés, de liens occultes et d’affaires troubles.

La Françafrique : une saga africaine intimement liée à la France. De de Gaulle à Chirac, « le plus vieil ami africain de la France » avait su se rendre incontournable : il en savait trop pour être mis au rencart. Même le Président Sarkozy, pourtant résolu à changer les relations avec l’Afrique, se fendit d’un coup de fil au vieux crocodile, le jour même de son élection, pour le remercier de ses « bons conseils », avant de clore sa première tournée officielle à Libreville. Ménager l’influence jamais démentie du Président gabonais, et céder à sa colère en expédiant aux Anciens Combattants le trop abrupt Secrétaire d’Etat à la Coopération, Jean-Marie Bockel, hostile à la Françafrique…

Aujourd’hui, cependant, après l’affaire dite des biens mal acquis, la disparition du doyen des chefs d’Etat africains délie les langues et c’est tout un faisceau de manipulations et de corruption qui est mis en lumière.

Mais Omar Bongo, derrière ses lunettes noires et sa moustache, n’avait pas le monopole du non-respect des lois. Tandis que le Président nigérien Mamadou Tandja vient de faire modifier la Constitution de son pays afin de briguer un troisième mandat, d’autres dirigeants africains se livrent à des coups d’Etat constitutionnels similaires : Abdelaziz Bouteflika en Algérie, Idriss Deby au Tchad, Paul Biya au Cameroun… Dans l’indifférence générale, le Président djiboutien Ismaël Omar Guelleh a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat, au mépris de la Loi Fondamentale, et son homologue burkinabais Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir par les armes en 1987, évoque déjà un changement constitutionnel ouvrant la voie à un cinquième mandat en 2015…

Autant de pratiques qui minent la bonne gouvernance en Afrique, cette condition indispensable au développement économique du continent, comme l’ont rappelé récemment Barack Obama et Hillary Clinton.

M. Pierre-Jean Gire au siège des Nations unies, à Bonn (2 juin 2009)Fonctionnaire des Nations unies, expert international, Pierre-Jean Gire a été un observateur privilégié de ces pratiques au Gabon, où il a dirigé, entre 1991 et 2000, l’ensemble des missions d’audit menées par les organisations internationales dans le but de préparer la privatisation d’entreprises d’Etat. Aujourd’hui Président de l’Institut des hautes études sur les Nations unies, et à quelques semaines de l’élection présidentielle au Gabon, il a accepté de me livrer son témoignage sur ce système de corruption généralisée, que le défunt Omar Bongo résumait avec componction : « Une chèvre broute là où elle est attachée.« 

« M. le Président, pour commencer cet entretien, je souhaiterais vous demander ce qui vous a amené en Afrique, et plus particulièrement au Gabon.

–        Il a fallu, en 1991, remplacer un auditeur au Gabon. J’ai donc pris sa suite. Il s’agissait de contrôler, pour le compte de différentes organisations internationales, la gestion des grandes entreprises gabonaises destinées à être privatisées. Basé à Libreville, je suis également intervenu dans le même cadre ailleurs en Afrique : au Bénin, au Congo-Brazzaville auprès du président Denis Sassou Nguesso, en République Démocratique du Congo auprès du Président Kabila, notamment.

–        Vous avez donc été en contact avec le Président gabonais Omar Bongo.

–        Absolument. Mes bureaux se situaient à la présidence. Je l’ai rencontré personnellement pour la première fois après mon audit des chemins de fer. Nous avions calculé que les fausses factures concernant l’achat de rails auraient permis de faire le tour de la Terre ! A l’évidence, le directeur, un proche de Bongo, avait pris dans la caisse… Un bandit ? Non, c’est simplement un système. Un haut fonctionnaire qui détourne de l’argent fait par ailleurs construire un dispensaire, une école, pour son village ou son ethnie. Le contexte est bien sûr particulier, mais il n’empêche que 150 personnes vont en bénéficier… C’est ce que j’ai dit au général commandant les services de renseignement gabonais, mon contact à la présidence. Il m’a alors amené le répéter à Bongo. A la fin, le Président m’a regardé et m’a dit « Toi, tu me plais…« . A partir de là, je suis en quelque sorte devenu « son Blanc« .

–        Cette simple anecdote des rails de chemins de fer laisse entendre que la corruption est institutionnalisée…

–        Là-bas, la corruption est une véritable économie. Un système encouragé non seulement par les dirigeants, mais également par toutes les puissances présentes en Afrique, qui monnaient leurs intérêts. J’ai vu tellement d’étrangers défiler dans le bureau de Bongo, que je lui ai demandé un jour en riant pourquoi moi aussi, je n’avais pas droit à ma valise pleine de billets de banque. Sur le même registre, le Président m’a naturellement répondu : « Parce que tu viens sans valise vide !« …

–        N’y a-t-il pas là une forme d’hypocrisie des puissances étrangères, qui d’un côté se livrent à de telles pratiques, et de l’autre disent encourager le développement en Afrique ?

–        J’avais l’habitude de commencer mes cours à Sciences-Po par cette phrase provocante : « Le développement est l’épitaphe du tombeau africain« . Tout le monde sait très bien que les dons destinés au développement sont significativement détournés. Et parfois de façon détestable : j’ai ainsi découvert qu’au Bénin, tandis que des bénévoles se dévouent corps et âme, la moitié de l’aide destinée aux malades du Sida est dévoyée ! Mais tout le monde ferme les yeux pour protéger ses intérêts propres…

–        Il semble cependant aujourd’hui que les Français ne soient plus en odeur de sainteté au Gabon.

–        C’est indéniable. Les Gabonais en veulent aux Français de pointer aujourd’hui le doigt sur les malversations de Bongo, avec l’affaire des « biens mal acquis », alors que ce sont eux qui ont importé la corruption au Gabon. Les jeunes générations africaines n’oublient pas que la corruption a été enseignée par les Blancs. Elles exècrent ce système, qui les a menées à la misère et au sous-développement, et en tiennent les ex-puissances coloniales, France en tête, pour responsables. Au Gabon, on veut tout simplement chasser les Français hors du pays.

–        Pour autant, il faut croire que l’élève a dépassé le maître…

–        Bien sûr : les circonstances ont été favorables, avec des institutions fragiles et des malversations encouragées depuis l’extérieur. Au Gabon, du gardien de la présidence aux plus proches conseillers du Président, tout le monde se laisse gagner par le système. Tout se monnaie. Un jour, j’ai constaté que la paye des employés d’une entreprise publique avait disparu. Réponse désarmante : « Un marabout l’a prise en promettant de ramener le double demain.« 

–        Et le Président ?

–        Le Président Bongo était particulièrement tolérant par rapport à ces pratiques. Lui non plus n’était pas en reste, d’ailleurs. Une fois, par exemple, il m’a fait convoquer en pleine nuit pour avoir écrit, dans mon rapport d’audit des Postes, qu’il manquait 30 millions de francs CFA, dont je pensais qu’ils avaient servi à financer la campagne présidentielle. A la fin de la conversation, le Président m’a tout naturellement avoué : « En fait, j’en avais pris 40 millions… Mais quelqu’un m’en a volé 10. Je veux que tu retrouves de qui il s’agit. » C’est le système…

–        Et n’aviez-vous aucun moyen de lutter contre ces pratiques ?

–        Nous nous y attachions. Mais on ne peut éradiquer un tel système. Trop d’intérêts s’y croisent. Après avoir obtenu le limogeage d’un agent comptable des Telecom qui volait dans la caisse, j’ai eu l’immense surprise de le voir me remercier, quelques semaines plus tard… Au lieu d’être limogé, il avait en fait été promu au rang d’Inspecteur Général des Finances : clairement, quelqu’un le couvrait pour qu’il tienne sa langue.

–        D’autant que mettre à jour des malversations ne devait pas être sans risque ?

–        C’est vrai. A la fin de mon séjour au Gabon, j’ai découvert un détournement impliquant le neveu du Ministre de l’Intérieur. J’ai ensuite été invité à une promenade en bateau. Comme par hasard, ma pirogue a chaviré, et j’ai clairement senti des mains m’attirer vers le fond du lac infesté de crocodiles. Un avertissement sans frais…

–        A vous entendre, on se demande quel rôle efficace peut jouer la communauté internationale en Afrique. Si tous les dons doivent subir de tels sorts…

–        Il faut être lucide. L’action des ONG sur le sol africain est souvent l’expression de la décision des Etats donateurs. C’est cette situation qui a brouillé les cartes au Soudan, et suscité la violente réaction du régime de Khartoum et l’exclusion d’ONG, après le mandat d’arrêt lancé par la Cour Pénale Internationale à l’encontre du Président Béchir. L’action de terrain est bridée par la politik business

–        Certains cherchent des solutions pour s’affranchir de cette situation. Que pensez-vous de la proposition d’organiser une loterie au profit de l’Afrique ?

–        Il faut se méfier des fausses bonnes idées. En l’espèce, c’est une ineptie qui ne fera qu’entretenir la corruption et l’aide n’arrivera jamais au peuple.

–        Comment, alors, orienter les efforts de la communauté internationale dans le bon sens ?

–        Je crois que les Nations unies ont réellement leur carte à jouer en Afrique, à condition de véritablement prendre en compte les aspirations des peuples qu’elles souhaitent aider. Il s’agit d’évoluer au rythme des populations, et non de la bureaucratie internationale. Il convient d’alléger les Nations unies du poids lourd diplomatique pour aller à l’essentiel : mettre en valeur le Conseil Economique et Social des Nations unies (ECOSOC), et s’appuyer sur les Organisations Non Gouvernementales, qui connaissent bien le terrain et ses réalités. Il faudrait notamment mieux coordonner, labelliser et contrôler les ONG. J’ose croire que cette évolution positive sera encouragée par des personnalités comme Barack Obama ou Nicolas Sarkozy, jeunes chefs d’Etat dynamiques, conscients que, si les Nations unies ne parviennent pas à relever ce défi de l’action en faveur du développement, qui est une de leurs prérogatives fondamentales, elles pourraient décliner puis tout simplement mourir.

–        Pour finir, aujourd’hui, à quelques semaines des élections présidentielles au Gabon, quels sont selon vous les enjeux du scrutin ?

–        La situation du pays aujourd’hui est délicate : la misère et le sous-développement sont criants, en dépit de vastes ressources pétrolières qui ont seulement profité à l’entourage présidentiel. Le renouveau du pays ne pourra se faire qu’après avoir liquidé tous les réseaux sulfureux qui gravitent autour du pouvoir… Vieux barbouzes, pseudo agents de renseignement, ex-policiers qui minent le pays, rongent l’économie et masquent la vérité aux décideurs. Si Omar Bongo avait un statut particulier, une sorte de père, de patriarche pour le peuple, les Gabonais sont éreintés après ses 41 années de règne. Ils veulent se débarrasser du clan Bongo et refusent l’idée d’une dynastie. Je crains fort que si Ali Ben Bongo, le fils, actuel Ministre de la Défense, est élu, le pays ne s’embrase.

–        Quel rôle doit jouer la France dans cette élection ?

–        Aucun. Absolument aucun. Tenue pour responsable des errements antérieurs, la France serait bien inspirée de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures du Gabon et de ne pas intervenir dans la désignation du prochain Président. Souvenons-nous que Nicolas Sarkozy a été sifflé lors des obsèques de Bongo. Souvenons-nous des émeutes antifrançaises en Afrique francophone, ces dernières années : en Côte d’Ivoire en 2003-2004, au Gabon déjà en 1993… Le Président Sarkozy l’a d’ailleurs compris. Il faut saluer et soutenir son attitude novatrice, sa volonté d’amorcer un virage dans nos relations avec l’Afrique et de rompre avec les vieilles habitudes de la Françafrique : les jeunes générations africaines veulent prendre leur destin en main. »

Propos recueillis le 28 juillet 2009.

LC.

Voir sur le même thème : L’après-Bongo : les messieurs Afrique ont la vie dure

Est-il absurde de désirer l’impossible ?

Voilà le sujet de philosophie sur lequel ont dû plancher les candidats du Baccalauréat scientifique, ce jeudi.

Il y a bien longtemps que j’ai quitté les classes de philosophie, et je n’aurais pas la prétention de proposer ici une solution académique : les inconditionnels du triptyque thèse – antithèse – synthèse trouveront leur bonheur dans la multitude de corrections qui doivent sans doute foisonner, à l’heure actuelle, sur Internet.

Il n’empêche que ce sujet nous interpelle tous : qui n’a pas un jour rêvé à l’impossible ?
Les lecteurs assidus de ces pages trouveront dans mon billet en date du 14 janvier 2009, Voguer vers de nouveaux horizons, certains éléments de réponse.

Au risque de me répéter, je dirai donc que, bien sûr, il est des désirs absurdes. S’engager dans une voie qui mène nécessairement à l’échec, c’est manquer de clairvoyance et se laisser entrainer dans la spirale de la frustration. Certes. Mais toute la subtilité est donc bien dans la définition de cet impossible. N’y a-t-il pas, en effet, certains impossibles qui valent la peine d’être poursuivis ? Quand bien même ne seraient-ils pas atteints, ne peut-on pas s’en approcher ?

Poursuivre l’impossible n’est pas absurde, à condition que ce désir permette le progrès : on n’atteindra sûrement pas le but final, l’idéal inaccessible, mais on contribuera tout de même à s’élever. Dans ce dépassement, certes incomplet, il y a l’espoir d’une amélioration. Il y a la perspective d’un projet, individuel ou collectif, qui permette d’avancer. Rappelons-nous que les plus grands progrès de l’humanité sont précisément nés d’un de ces paris fous.

Qui aurait pu croire, en pleine Seconde Guerre Mondiale, à l’idée du Président Roosevelt d’une Organisation des Nations unies ?
Pourtant, au lendemain de la guerre, des ruines de Stalingrad et du vacarme de Normandie, naissait l’une des plus extraordinaires constructions des hommes : « Pour la première fois dans l’Histoire de tous les peuples du monde, toutes les nations acceptaient de se réunir dans une enceinte commune pour se parler par-delà les divisions » (Nicolas Sarkozy, 25 septembre 2007, Discours d’ouverture de la LXIIème Assemblée générale des Nations unies).

Qui aurait pu croire qu’après s’être entre-déchirées pendant trois guerres, la France et l’Allemagne adhéreraient à l’idée des pères fondateurs, Robert Schumann en tête, pour fonder dès 1950 la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, puis la Communauté Economique Européenne en 1958 ? Qu’auraient répondu nos Poilus si on leur avait annoncé, dans l’âpreté des tranchées, que le couple franco-allemand serait un jour l’architrave d’une Union Européenne ?

Le Général de Gaulle disait « La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont toujours rêvée », exaltant ainsi la force de la volonté, qui, dans bien des cas, si elle ne permet pas d’atteindre l’impossible, permet de s’en approcher.

Et comme dans une formidable coïncidence historique, ce sujet a été posé un 18 juin… Qui aurait pu croire, là encore, au pari insensé du Général, qui depuis Londres lançait sur les ondes de la BBC, un appel à la Résistance, tandis que la France, défaite par la Werhmacht, s’apprêtait à cesser le combat et que le régime était sur le point de sombrer dans la lâcheté de la collaboration ?

Il y a dans cet exemple une incitation au dépassement et à l’audace, une invitation à « aller plus loin ». La preuve que tout engagement n’est pas vain.  Balayer le désir d’impossible, dans son acception la plus générale, c’est tomber dans le renoncement et la stagnation : avec pragmatisme et lucidité, sans idéalisme naïf, il faut prendre conscience que le désir d’impossible peut être constructif.

A l’heure où les déboires du capitalisme financier et l’émergence de nouvelles puissances bouleversent la donne géostratégique,

A l’heure du retour de l’Histoire, tandis que les certitudes vacillent et que l’Humanité hésite, devant d’immenses défis, sécuritaires, environnementaux ou sanitaires,

A l’heure où, pour citer Jacques Attali, « Nous sommes à la fois en 1933 et en 1945« , entre le gouffre du repli sur soi et du renoncement, et l’espoir d’un renouveau du multilatéralisme,

Souvenons-nous que le 18 juin 1940, un général de brigade à « titre temporaire » désirait l’impossible.

Le même général qui, ce 18 juin 2009, aurait sans nul doute écrit que cela n’avait pas été tellement absurde…

LC.

Serge Ravanel, l’esprit de Résistance

Serge RavanelS’il est des moments où l’on peut être fier de coiffer le bicorne, les obsèques du Colonel Serge Ravanel en furent sans doute un grand.

La France rendait, mardi 5 mai aux Invalides, les honneurs militaires à ce polytechnicien de la promotion 1939, Compagnon de la Libération.

Ceux qui me connaissent savent mon attachement à l’histoire et aux valeurs de la Résistance. Ils mesureront donc combien j’ai été honoré, à la tête de la délégation polytechnicienne, de saluer une dernière fois notre camarade, libérateur de Toulouse en 1944, dont le cercueil s’éloignait au rythme du chant des Partisans, ceint du drapeau tricolore.Obsèques de Serge Ravanel, aux Invalides

Ce drapeau de la France, terre d’adoption pour sa mère tchèque. Né Serge Asher, celui qui deviendra Ravanel, grandit donc bercé par les valeurs humanistes et républicaines de cette patrie des droits de l’homme qui a accueilli sa mère, et qui récompense son mérite en lui ouvrant les portes de l’Ecole Polytechnique en 1939. « Pour la Patrie, les Sciences, la Gloire ».

La Gloire, Serge Ravanel ne l’avait jamais recherchée. Mais elle était naturellement venue récompenser ce « héros pour de bon » . Compagnon de la Libération, grand officier de la Légion d’honneur, croix de guerre avec palme et décoré de la US Bronze Star Medal, l’homme, d’une grande intégrité et d’une immense simplicité, se voulait humble, et préférait évoquer les prouesses des anonymes, sans-grades dont il avait été le chef. Seule l’imperturbable sérénité de son regard en disait long sur les épreuves qu’il avait traversées.

Les Sciences, Serge Ravanel les avaient explorées dans sa jeunesse. Après la guerre, il y reviendra, toujours passionné de nouvelles technologies et de modernité, jusqu’au cabinet du Ministre de la Recherche Jean-Pierre Chevènement, entre 1981 et 1983.

La Patrie, elle, fut le moteur de son action, l’idéal qui poussa le jeune étudiant pétri de mathématiques et de physique à plonger dans la clandestinité, pour devenir un des leaders de la Résistance intérieure. Trajectoire fulgurante et destin hors du commun. Il est des situations exceptionnelles, où l’on se révèle aux autres. Et à soi-même.

Et ce fils d’immigré ne voulut pas croire, en 1940, à l’effondrement politique et moral de la Patrie qu’il avait tant vénérée. Longtemps, il crut à la duplicité de Pétain, et à un accord secret entre le Général parti à Londres et le vieux Maréchal resté donner le change à l’ennemi. Un Maréchal de France, vainqueur de Verdun, ne pouvait pas brader le pays de la sorte.

Raymond Aubrac rend hommage au Colonel RavanelIl perdit vite ses illusions et s’engagea activement au sein de la Résistance intérieure. Sa finesse d’analyse, son charisme et son organisation le propulsèrent vers de hautes responsabilités : permanent de Libération Sud en 1942, il devient chef national des Groupes Francs des Mouvements Unis de la Résistance en 1943. En octobre, ses groupes font évader Raymond Aubrac, qui a rendu aux Invalides un vibrant hommage à son libérateur. Jean Moulin, transféré quelques jours plus tôt par Klaus Barbie, n’aura pas cette chance. En 1944, il est chargé de la nomination du nouveau responsable régional des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) pour la région R4 (Sud-Ouest) : devant l’indécision de ses pairs, il se propose et est désigné à l’unanimité.

La valeur n’attend pas le nombre des années, et le voici donc, au printemps 1944, à seulement 24 ans, nommé Colonel par le général Koenig, et à la tête de 60 000 hommes. Le plus jeune colonel de France coordonne les combats de libération de Toulouse, les 19 et 20 août 1944. Il s’agit surtout d’entraver et de harceler la retraite d’une armée allemande qui se précipite vers la Provence, où les Alliés ont débarqué quelques jours plus tôt. Il s’agit aussi d’empêcher les forces ennemies de mettre à sac la ville avant leur départ : l’action des FFI évitera ces représailles sanglantes. Un millier de soldats allemands seront tués et 13 000 faits prisonniers.

Si Serge Ravanel prépare immédiatement, avec le commissaire de la République Jean Cassou, la reconstruction et le rétablissement de l’ordre républicain, c’est un général de Gaulle mal informé, craignant une « expérience communiste » et l’établissement d’une « république rouge » place du Capitole, qui arrive à Toulouse le 16 septembre : le malentendu entre le Colonel, chef régional des forces intérieures, et le leader de la France libre est brutal, mais ne doit pas faire oublier l’ampleur de la contribution de cette grande figure de la Résistance intérieure.

Homme de caractère, de convictions et d’engagement, personnage déterminé qui s’évada trois fois des griffes ennemies, Serge Ravanel est l’incarnation de cet esprit de Résistance si spécifique à la France, et auquel il consacrera d’ailleurs un livre en 1995.

Inlassablement, il racontait aux jeunes générations ces valeurs humanistes de courage, de solidarité et de liberté, ce refus de la barbarie nazie, profondément ancrés au plus profond de ses compagnons, et qui les avaient poussés à affronter les dangers quotidiens de l’arrestation, de la torture et de la déportation. En s’adressant à la foule, place du Capitole, au soir de la Libération, pour l’exhorter à entamer la reconstruction économique, le chef régional des FFI affirme une des spécificités de la Résistance française : sa coordination et son programme d’après-guerre, bâti autour des idées progressistes, sociales et réformatrices du Conseil National de la Résistance. Il incarne donc bien cette Résistance française, qui puise sa dynamique et son éthique dans les valeurs républicaines fondatrices de notre identité.

Préoccupé par la montée de la haine et des extrémismes, Serge Ravanel s’efforcera, à la fin de sa vie, de livrer son témoignage aux jeunes générations, pour assurer la préservation des si précieux acquis de la Libération. Pour lui qui soutenait que la jeunesse d’aujourd’hui est aussi généreuse que celle de son époque, notre présence à ses obsèques, saluée par ses compagnons aux Invalides, constitue donc un hommage d’autant plus grand. Si plus de cinquante promotions nous séparent, nous voici donc dépositaires de son témoignage, comme les jeunes générations sont maintenant, avec la disparition des derniers survivants, garantes du flambeau du souvenir. A nous désormais de transmettre ces témoignages, ces histoires qui ont fait l’Histoire.

Ce « travail de mémoire », cette fidélité à l’engagement et à l’œuvre de femmes et d’hommes comme Serge Asher, est plus que jamais nécessaire, alors que le retour du négationnisme et des manipulateurs de l’Histoire agite des spectres bruns que l’on croyait définitivement disparus. Alors que les récents génocides, en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, nous enseignent que l’Histoire peut encore bégayer. « Celui qui ne se rappelle pas le passé est appelé à le revivre« , disait George Santayana : pour rester vigilants face à la montée de l’intolérance, cette mémoire est indispensable.

Perpétuer le souvenir, donc, pour comprendre le passé, et mieux construire le présent.

Serge Ravanel, homme exceptionnel, avait confiance en la mémoire des jeunes générations. Donnons-lui raison.

LC.

Résurgence de la Guerre Froide ?

Le Président Medvedev et son homologue tadjik au lendemain de la crise géorgienne (Douchambe, août 2008)Réminiscence d’un temps où l’Union Soviétique se voulait l’égale des Etats-Unis, le regain de tensions qui agite ces temps-ci les relations entre la Russie et l’Occident fait flotter comme un parfum de Guerre Froide. Affaires d’espionnage à l’OTAN, expulsions de diplomates à Moscou et climat exécrable autour de la Géorgie, voici un cocktail explosif qui a des airs de déjà vu, au point de faire dire à Dimitiri Rogozine, ambassadeur russe à l’OTAN, que « l’esprit de la guerre froide est toujours vivant« . Mais qu’en est-il réellement dans les faits ?

Rencontré il y a quelques jours, le gérant français d’une société de sécurité implantée en Russie m’a livré son témoignage, qui donne une image sensiblement différente du traitement souvent biaisé que réservent les médias occidentaux au pays de Tchekhov.

D’abord, mon interlocuteur s’inquiète de la crise économique qui ébranle la Russie. Le Président Poutine ayant basé l’économie nationale sur les hydrocarbures, le pays ne dispose pas d’un socle industriel suffisant et se trouve doublement frappé par la crise, avec l’effondrement du prix du baril (et donc du prix du gaz, indexé sur le brut) : loin de Moscou, « ville délirante« , la population vieillissante, en régression démographique, s’enfonce dans la misère.

Mais c’est surtout dans le domaine géopolitique que la vision de l’intérieur de ce sécuritard, ancien observateur international au Kazakhstan et dans le Caucase, me paraît précieuse. D’emblée, il dénonce la manipulation qui consiste à systématiquement jeter l’opprobre sur l’attelage Medvedev/Poutine. S’il reconnaît que les pays de l’Est et d’Asie centrale sont significativement infiltrés par les anciens du KGB (dont Poutine est lui-même issu), il rejette l’image naïve de soulèvements populaires, spontanés et indépendants. Pour lui, la révolution orange à Kiev et l’agressivité militaire de la Géorgie l’été dernier ont été, sinon orchestrées, largement encouragées depuis Washington.

NATODe fait, force est de reconnaître que dans la guerre d’influence que se livrent Russes et Américains autour de la Mer Noire, en Europe de l’Est ou en Asie centrale, la vision manichéenne qui prévaut trop souvent dans les médias est illusoire. Mon interlocuteur s’indigne de la façon dont a été traitée en France la crise géorgienne, et salue le compromis – quoique imparfait – trouvé par le Président Sarkozy, plus en phase avec les réalités du terrain qu’avec les attentes d’une opinion publique occidentale acquise à Tbilissi.

Et de rappeler, comme nombre d’analystes, que le président Saakachvili a fait ses études aux Etats-Unis, où il s’est imprégné des valeurs occidentales. Porté au pouvoir à la suite de la « révolution des roses » qui a renversé l’ancien ministre soviétique Edouard Chevarnadzé en 2003, notamment grâce au soulèvement des étudiants du groupe Kmara, largement subventionnés par la fondation du milliardaire américain George Soros, Saakachvili a alors pu exprimer son tropisme américain, en s’efforçant de se délivrer de l’emprise russe.

Mais, le « hussard du Caucase »  a sans doute voulu aller trop loin dans son affirmation vis-à-vis de Moscou. Il y a d’abord eu cette volonté affichée d’intégrer l’OTAN, repoussée en avril 2008 par George W.  Bush, sous la pression franco-allemande. Provocation.

Et puis, bien sûr, « Micha » Saakachvili a cru au soutien inébranlable des Occidentaux, sans doute sur la foi d’assurances venues de certains conseillers américains – le sénateur McCain n’en avait-il pas lui-même donné, d’abord au ministre géorgien de la défense, en 2005, puis à l’occasion d’un voyage officiel dans le Caucase, en 2006 ?  Alors, il a voulu profiter de la grande diversion des Jeux Olympiques, Poutine à Pékin, pour se mesurer à l’ours russe.chars russes entrant en Géorgie

Las ! Plus que la défaite militaire et la perte irrémédiable de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, le président géorgien, en franchissant la ligne rouge, s’est décrédibilisé et se trouve aujourd’hui profondément déstabilisé dans son propre pays. De fait, Moscou veut sa tête et s’appuie sur ses réseaux en Géorgie. Pire encore, il a donné là l’occasion à la Russie de tester la capacité de réaction occidentale, et de voir jusqu’où elle peut aller dans son durcissement à l’égard de la communauté internationale.

SaakachviliAussi, ces réalités témoignent des tractations souterraines auxquelles se livrent Russes comme Américains pour étendre leur sphère d’influence dans ces zones d’intérêt stratégique. Washington mise sur une jeune génération occidentalisée, Moscou active ses réseaux d’ex-agents du KGB. Les troubles récents en Moldavie auraient d’ailleurs notamment été orchestrés en sous-main depuis le Kremlin. Bienvenue dans le monde gris de la realpolitik, où chacun pousse ses pions !

Peut-on pour autant parler, comme Dimitri Rogozine ou mon interlocuteur, du retour de la Guerre Froide ? Je ne le pense pas, et je vais tâcher d’expliquer ici pourquoi. Tandis que la Guerre Froide consistait en un choc frontal entre deux groupes totalement antagonistes, que tout opposait, aujourd’hui, les Russes et les Américains savent qu’ils ont besoin les uns des autres, et ce malgré les accents parfois provocateurs d’un Dmitri Medvedev qui dit ne pas craindre une nouvelle Guerre Froide. Ainsi, dans la lutte contre le terrorisme, et en dépit des tensions actuelles avec l’OTAN, Moscou a accepté le transit sur son sol de la logistique américaine destinée à l’Afghanistan : cette coopération est d’autant plus cruciale pour Washington que les convois de matériel ne peuvent évidemment transiter par l’Iran, et évitent de plus en plus un Pakistan déstabilisé, où ils sont régulièrement attaqués.

En somme, si l’on assiste bien au retour d’un climat de Guerre Froide, la froideur russe procède plutôt d’une démarche d’affirmation vis-à-vis de l’Occident : dans le nouvel ordre mondial, chaotique, Moscou se cherche une place, sans pour autant vouloir se poser en alternative du modèle occidental. David Ignatius, le célèbre journaliste du Washington Post, résume ainsi la situation : « Les mondes bipolaires et multipolaires ont chacun leur stabilité. Ce qui est dangereux, c’est la transition entre les deux« . Et nous sommes en plein dedans !

LC.